Dans le venture, tout se joue sur l’accès aux meilleurs talents et aux meilleures opportunités.
La confiance devient l’actif principal - et aujourd’hui, elle se construit en public.
En développant un narratif en ligne - convictions claires, thèse affirmée, vision forte - les fonds qui veulent capter les meilleurs deals ne suivent plus le marché : ils le définissent.
Andreessen Horowitz (a16z) - l’un des fonds les plus emblématiques de la Silicon Valley, avec plus de 45 milliards sous gestion et des deals légendaires comme Facebook, Airbnb ou Coinbase - l’a toujours su : être média fait partie de leur ADN.
En 2021, ils lancent Future.com, une plateforme éditoriale ambitieuse pour incarner la voix de la Silicon Valley.
Mais le courant ne passe pas.
Trop froid. Trop figé. Trop lisse. Trop top-down.
Il faut dire, aussi, que le time to market n’a pas joué en leur faveur. L’IA générative a bousculé le paysage - elle a mis des mots partout, entre toutes les mains.
Alors si les mots ne manquent plus, qu’est-ce qui compte encore ?
Faire vibrer, sans doute.
Et ça, rares sont ceux qui savent bâtir un écosystème vivant - porté par une voix, un visage, une vision.
C’est là que se trouve le vrai flywheel (le cercle vertueux) - et le vrai edge (l’avantage concurrentiel).
a16z l’a compris avant les autres, et ils ont pivoté. Ils ne parlent plus au monde : ils construisent avec lui. Ils ne bâtissent plus une marque : ils incarnent des voix.
Les signaux faibles
Rome ne s’est pas faite en un jour.
D’abord, il fallait poser les fondations média.
Dès 2014, a16z avait amorcé son virage : l’arrivée de Sonal Chokshi, transfuge de Wired, installe une culture éditoriale au cœur du fonds - bien avant que le contenu ne soit perçu comme un actif stratégique.
En 2022, Maria LaMagna Morales, ancienne Senior Editor chez CNN, rejoint a16z, renforçant ainsi le pari de long terme du fonds : faire de l’excellence éditoriale un véritable levier de différenciation
Depuis le début de l’année, la stratégie s’affine : il s’agit désormais d’assembler les éléments d’un cercle vertueux - prospective, distribution, viralité.
Leo Luo, analyste des tendances conso et auteur de la newsletter Consumer Startups (14 000 abonnés), rejoint le programme Scout. Branché au plus près des écosystèmes early-stage, il capte les signaux faibles avant tout le monde.
Puis vient Erik Torenberg - cofondateur d’On Deck, hôte du podcast Upstream (17 000 abonnés), fondateur du réseau Turpentine - devient General Partner. Il arrive avec son audience, son moteur de distribution, et un média totalement opérationnel.
En avril 2025, Brittney Le Roy rejoint à son tour le mouvement, après sept ans chez Spotify - où elle a contribué au lancement d’initiatives comme AI DJ et Daylist. Elle apporte un talent rare : l’instinct des formats viraux, et l’art de les faire émerger.
Vous voyez ? Il ne s’agit pas de simples recrutements : c’est la fondation d’un écosystème vivant là où Future.com a échoué, en arrachant des voix à leur propre biotope.
Le capital-risque se redessine
Pour mieux comprendre le playbook d'a16z, il faut saisir le contexte actuel.
Depuis 2021, le nombre de fonds VC actifs aux États-Unis a chuté de plus de 25 %. En Europe, il a été divisé par deux.
Le capital, lui, est toujours là - mais il se concentre.
Les sorties se font rares. Les IPOs se comptent sur les doigts d’une main. Les opérations de M&A tournent au ralenti. En 2024, selon Tomasz Tunguz (citant des données PitchBook), 71 % des exits en dollars viennent du marché secondaire.
Pendant ce temps, un autre modèle prend forme.
Solo VCs, rolling funds, syndicats, créateurs-investisseurs : de nouvelles figures émergent. Derrière eux, une infrastructure plus légère, plus rapide, plus publique : AngelList, Roundtable, Sydecar, ou encore Pin.xy. Lever, investir, administrer : tout devient possible, seul.
Aujourd’hui, certaines newsletters deviennent des dealflows : Mario Gabriele (141 000 abonnés), Packy McCormick (242 000 abonnés) : leurs écrits structurent le marché autant qu'ils le décryptent.
Le média comme nouvelle barrière à l'entrée
Observez Harry Stebbings.
À 18 ans, armé d’un simple micro, il lance 20VC. Interview après interview - 2 700 au total - il transforme son podcast en une machine média si puissante qu’elle deviendra un fonds qui a levé 400 millions de dollars.
Ses invités sont devenus ses LPs, ses sociétés en portefeuille, ses scouts, ses employés.
Son audience est devenue sa barrière à l’entrée.
Même des investisseurs comme
- passé par Eurazeo et créateur de la newsletter Overlooked (plus de 10 000 abonnés) - le rejoignent.Le média n’est plus un accessoire ; comme le montre Stebbings, il est devenu clé pour attirer entrepreneurs et dealflow.
De la plateforme au protocole
Peu de fonds ont saisi cette dynamique - ou agi aussi vite - qu’a16z.
Aujourd’hui, ils redéfinissent ce que signifie être un fonds de venture.
Ce n’est pas du « VC + média », c’est l'inverse.
Longtemps, les fonds ont avancé sans véritable stratégie média.
Quelques associés stars publiaient des thèses ou des tribunes, sans pour autant construire de véritable relation avec leur audience.
En somme : une communication statique, plus tournée vers l’affirmation d’une autorité que vers la création d’un engagement.
Une autre limite persiste : la porosité entre les opinions personnelles et les positions du fonds. Derrière le traditionnel « ces opinions n'engagent que moi », c’est souvent une transparence qui manque, un flou qui affaiblit les prises de parole - et par ricochet, l'authenticité.
Aujourd'hui, le modèle évolue. Même si le phénomène reste plus marqué dans les pays anglo-saxons, ce sont désormais des « community builders » que l’on recherche : des talents capables de porter une vision, de rassembler un réseau et d’affirmer un point de vue fort, clair et différenciant. Ces créateurs construisent en public, génèrent de la confiance, fédèrent des communautés par ricochet et accélèrent leur dealflow en s’appuyant sur des dynamiques narratives.
Pensez à Naval, fondateur d’AngelList. Il a construit l’infrastructure pour trouver des deals, à une époque où l'accès était encore verrouillé.
a16z, lui, construit aujourd’hui l’infrastructure pour façonner des deals - avant même qu'ils n'existent.
Maintenant, imaginez demain :
Vous avez une vision, une voix, une communauté. Vous lancez une newsletter, une chaîne, un réseau.
Mais le jeu a changé : il ne s'agit plus seulement d'attirer des abonnés ou de vendre de l’attention. Il s'agit de mobiliser directement cette communauté pour financer ce que vous portez, pour donner vie aux thèses que vous défendez.
Ce n’est plus une transaction sur l’audience : c’est une transaction sur le futur.
Dans ce monde, ceux qui bâtissent l'infrastructure - ceux qui connectent, amplifient et fluidifient - ne seront plus seulement des investisseurs. Ils deviendront la plateforme elle-même.
Peut-être est-ce là, finalement, la vision d'a16z : devenir le Shopify du Venture.
—
Marie Dollé, en collaboration avec Thomas Owadenko et Ange Michael Ahyi
Intéressant ! Mais peut-on vraiment parler d’engagement si le média est lui-même perçu comme un outil d’attraction plutôt que d’échange ? J’ai l’impression que la frontière reste fragile. Bien que a16z donne beaucoup plus que n’importe qui sûr de nombreux sujet, c’est tout de même un super exemple !
Content is king