Changement de latitude dans le voyage-lifestyle. Une nouvelle ère post pandémie voit le jour et s’annonce riche en nouvelles expériences. Etes-vous prêts à embarquer ?
D’une crise conjoncturelle à une mutation structurelle
La pandémie a durement touché le secteur des voyages et du tourisme en 2020. En France, ce sont plus de 60 milliards d'euros de recettes qui manquent à l’appel, soit ⅓ du chiffre d’affaires réalisé en 2019. Stupéfiant. Fort heureusement, alors que les couvre-feux et restrictions se lèvent progressivement à travers le monde, le secteur reprend du poil de la bête et entame sa mue. Comme l’analyse Airbnb dans sa dernière étude, la démocratisation du télétravail et du digital nomadisme rebattent les cartes : “Nous passons d'une situation où nous voyageons toujours au même moment dans les mêmes endroits, à une situation où nous sommes nombreux à vivre n'importe où, n'importe quand et pour n'importe quelle durée. Il ne s'agit pas d'une réaction temporaire à ces nombreux mois de restrictions et d'isolement, mais d'une étape vers un monde dans lequel vivre et voyager ne font qu'un.”
Cette mutation entraîne, en toute logique, de nouvelles réflexions et des positionnements inédits. Parmi ceux-là, citons l’initiative Digital Nomads Nation ou encore Plumia, le premier pays virtuel online non reconnu qui entend mettre en place l’infrastructure pour vivre ailleurs, tout en fonctionnant comme un pays géographique. Une idée séduisante, qui comporte son lot de zones d’ombre, comme le paiement de l’impôt, mais qui n’a rien d’ubuesque si on la met en perspective avec les nouveaux modèles de villes imaginés par certains millionnaires. La smart city, de Bill Gates à l'extérieur de Phoenix, ou encore Telosa, du milliardaire Marc Lore (un projet à 400 milliards de dollars de ville futuriste installée… en plein désert) ont de quoi faire tourner les têtes. A cela s’ajoutent de nouvelles tendances majeures, comme le tourisme éco-responsable, porteur de sens et d’action. Citons par exemple des initiatives, comme Global Himalayan Expedition, qui organisent des voyages à fort impact ou des trekkeurs volontaires participent à un projet solidaire d’électrification des villages les plus reculés de l’Himalaya indien. Dans les années à venir nous allons entrer dans une ère plus raisonnée de “conscious travel”. Bref, vous l’aurez compris, le secteur ne s’inscrit pas juste dans une logique d’évolution. C’est un véritable big bang, vecteur de nouvelles tendances tous azimuts.
Un modus vivendi avide de contenus
Pour nourrir cet écosystème en mutation : le contenu, of course. Mais pas n’importe quel type de contenu. Les consommateurs sont en quête d’insolite, d’exclusif. Pour preuve : en 2021, le nombre de recherches de logements uniques sur Airbnb a augmenté de 94 % par rapport à la même période en 2019. Parmi les lieux plébiscités par les wishlists des utilisateurs, les cabanes dans les arbres, les dômes ou encore les trullis affichent complet. Alors forcément, la marque multiplie les collaborations atypiques pour séduire ses utilisateurs…
Du côté de Google, la requête “travel tips” (ndlr : astuces / bons plans) a été tapée 110K fois dans le monde en août dernier dans le moteur de recherche. Soit une hausse de 500 % par rapport à 2019, avant que n’éclate l'épidémie, du jamais vu.
Face à cette demande, exit les contenus génériques. L’UGC (User Generated Content), joue plus que jamais un rôle capital en devenant, le premier point d'interaction lorsque l’envie de voyager se fait sentir. Et ça se passe en ligne sur les plateformes sociales. D’après un sondage conduit par Morning Consult en mai dernier auprès d’un échantillon de 1503 adultes américains, 38 % de tous les adultes qui prévoient de voyager lors de l’été 2021 ont déclaré qu'ils utiliseraient les médias sociaux pour les aider à planifier leur voyage, dont 54 % des millennials. Dans la même lignée : 49 % des adultes de la gen Z et 50 % des millennials ont déclaré suivre au moins une personne influente dans le domaine du voyage sur les médias sociaux. Tiktok (50,3 milliards de vues juste pour le hashtag travel !) Pinterest, ou encore Instagram sont évidemment les centres névralgiques où opèrent ces créateurs. Mais tout n’est pas si rose : fragmentation, manque d’outils dédiés au secteur, problèmes de monétisation… Les pain points sont nombreux.
Nouveaux acteurs, nouvelles opportunités ?
Aussi, depuis quelques mois la concurrence sur le segment discovery s’active comme illustré dans le schéma ci-dessous.
Une douzaine de start-ups gravitent dans cet écosystème pour vous inspirer et vous aider à planifier votre prochain voyage. Pour schématiser, elles pourraient être regroupées autour de trois grands axes :
B2C (Business-to-consumer). Un réseau social 100 % dédié au travel, c’est possible ? C’est en tous cas le pari de Travis, encore en version beta, mais que j’ai eu l’occasion de tester. Au programme : de la curation de moodboards de voyages, des récits de voyage, des recommandations personnalisées... La fondatrice, Nicole Tj m’a expliqué la genèse du projet : “Un voyage particulier en 2018 m’a donné le coup d'envoi. Pour planifier 5 semaines de voyage, mon conjoint et moi étions submergés par 42 onglets Google, des captures d'écran Instagram, des cartes Google épinglées et des feuilles de calcul -. C'est là que nous avons compris : l'expérience de la planification de voyage est bien trop fragmentée, se partage mal avec d’autres personnes et prend trop de temps.” Du moins, avant Travis.
Autres projets dans cette catégorie entre curation et trip-planning : Wanderlog, très semblable à Travis ou NaviSavi qui, pour sa part, se présente comme un TikTok du tourisme. Son contenu, exclusivement sous format micro-vidéo, souhaite combler le fossé entre l'envie de voyager, la navigation et la planification d'un itinéraire. La marque propose de rémunérer les créateurs dont elle approuve les vidéos et gère la redirection pour booker un voyage. A noter que TripDoodler, un autre acteur sur se segment, se différencie en se positionnant exclusivement sur le segment de l'écotourisme, véritable tendance de fond.
Lequel de ces services aura les faveurs du public ? Difficile à savoir. Toutes ces apps de curation de travel sont encore très early-stage et les modèles se dessinent encore. Cependant, scaler dans cette catégorie me semble complexe en l’état car cela suppose d’investir une nouvelle plateforme alors que la plupart des passionnés du voyage ont bâti leurs audiences sur les plateformes en vogue. Par ailleurs, si on sent une volonté de s’extraire du modèle de monétisation classique ad-based, les propositions actuelles me paraissent encore insuffisantes pour inciter des créateurs à s'investir en masse.
B2K2C. (Business-to-Key-Opinion-Leader-to-Consumer) Trovatrip qui a récemment levé $5 millions se présente comme une marketplace qui met en relation des hôtes de groupes de voyage, essentiellement des influenceurs, avec des voyageurs, bien souvent issus de leur fan base. L’influenceur a ainsi la possibilité de choisir une destination, de sélectionner des options proposées par la plateforme et d’en faire la promotion auprès de sa communauté. Cerise sur le gâteau ? Toute la logistique est assurée par la plateforme qui s’associe avec des voyagistes : ils facturent un tarif de base et fournissent des guides locaux à chaque groupe. Trovatrip se rémunère en facturant aux voyageurs des frais de service de l’ordre de 10 %, ainsi que des frais de carte de crédit de 2,9 %. L’Africain Wantotrip est un autre modèle semblable bien que la jeune pousse semble mettre l’accent davantage sur des experts qui mettent leur passion au service d’une expérience touristique inédite plutôt que sur la connexion “influenceur - fan” dans le contexte d’un voyage. Je trouve cette catégorie intéressante, en particulier le modèle Trovatrip, car il transforme le voyage en un outil d’engagement influenceurs - fans. Un argument qui pourrait rendre l’acquisition plus facile mais aussi l’expérience plus mémorable et, de facto, contribuer à fidéliser plus facilement les voyageurs.
C2C (Creator-to-Consumer). Citons enfin, une catégorie qui entend devenir la “home base” des créateurs du travel. On se rapproche davantage du modèle social commerce et je suis convaincue que cette catégorie va continuer à se développer dans les prochaines années. Explo permet de monétiser des expériences sur-mesure comme des vidéos guidées, d’organiser des évènements live, etc.
Paak met l’accent sur la brique de monétisation en offrant plusieurs options : commissions de réservation, primes de parrainage, paiements par vues et plus encore.
L’aspect qui me plait tout particulièrement est que ces services n’ont pas vocation à se substituer aux médias sociaux traditionnels (peine perdue ?) mais plutôt de permettre aux créateurs de faire levier sur leurs audiences là où elles se trouvent, en se focalisant sur les deux extrémités souvent mal gérées par les acteurs traditionnels, à savoir, 1/ la création avec les spécificités propres à l’industrie du voyage et 2/ la monétisation. Imaginez la puissance de Canva + Substack. Vous visualisez ? C’est, selon moi, l’approche la plus prometteuse. Mention spéciale également pour Fora, encore en beta, qui se distingue des autres acteurs, en se positionnant davantage comme une OTA (agence de voyages en ligne). Un modèle social by design qui pourrait faire de l’ombre aux Booking, Expédia et Consort ? C’est en tout cas le parti pris d’une autre société, Coridoor, à suivre de très près !
What’s next ?
Les créateurs indépendants continueront à représenter une part croissante de cet écosystème, d'une manière qui n'existait pas avant l'essor des plateformes sociales. Mais les challenges qui se posent à mon sens sont les suivants : les créateurs et voyageurs sont-ils prêts à investir une énième plateforme ? Je suis personnellement sceptique, à moins que ces acteurs ne se positionnent sur le segment OTA où la transaction a lieu, en ajoutant un flywheel social. Mais même ainsi, la question de la gouvernance se pose : à l’heure de l'émergence du web 3, ne s’agit-il pas de créer, ou du moins de poser les briques d’un modèle décentralisé qui donnerait un réel pouvoir aux créateurs ? Le secteur offre de nombreuses opportunités. Récemment, je suis tombée sur Lost Worlds qui entend créer une nouvelle dimension pour les NFT où les explorateurs peuvent voyager dans des lieux du monde “réel” pour débloquer l'accès à des projets de créateurs. Les fondateurs appellent cela le “proof of travel”, autrement dit, la preuve qu’on a voyagé quelque part et qu’on a pu se procurer un NFT de par sa géolocalisation.
Alors certes, aujourd’hui les NFT ont du succès car ils permettent de partager infiniment un objet digital unique, sans en perdre l'ownership. Mais ils représentent surtout une forme de signal de statut, pas forcément pour leur aspect “utilitaire” comme c’est le cas dans ce projet. Mais nous ne sommes qu’aux balbutiements. Une chose est certaine, le secteur est parti pour vous en mettre plein la vue. Vacances j’oublie tout ? Certainement pas !
Marie
Un énorme merci à Thomas Owadenko, Dominique Delport, Kristofer Moisan et Eytan Messika pour leurs précieux conseils.
Tendance, tendances… : je vous partage une interview croisée que j’ai réalisé cet été avec Matt Klein (il opère en tant que trend analyst chez Reddit). J’en profite pour vous recommander sa newsletter qui est l’une des meilleures sur le marché en matière de signaux faibles et nouveaux usages.
Human Body : ce site est fascinant. Après inscription, il vous permet d'explorer un modèle 3D incroyablement détaillé, zoomable et rotatif de l'anatomie humaine… qui n’aura plus de secret pour vous !
9 tendances en matière de technologie et d'innovation à l'ordre du jour des dirigeants en 2021 (Enfin un bon article !) A lire ici.
Notre experience du web aujourd’hui. (Drôle et tellement vrai !)
Des ateliers de cuisine-thérapie pour vous sentir mieux ? L’offre est pléthorique. Ici, mais aussi ici, ou encore ici. (Je suis a deux doigts de vous faire un benchmark complet 😅)
Comment le gaming va changer l’humanité : “La nature autarcique des jeux signifie non seulement qu'ils érodent la culture de masse, mais aussi qu'ils rendent la réglementation gouvernementale plus difficile.”
Une liste d’offres d’emploi qui ressemble à un google doc, pour scroller en tout sérénité au bureau. (Mais où vont-ils chercher ça ? 😆)
🥰 L’article vous a plu ? N’hésitez pas à me laisser un petit cœur, un commentaire ou à partager l’article à votre entourage.
Sans oublier les services basés sur les abonnements (en particulier dans le luxe et la cible Digital Nomads) https://www.purchasely.com/blog/travel-industry-subscriptions-everywhere-is-a-growing-trend
@marie dollé
Wouahhh ! top top top ! As ever !
Le thème du voyage est très intéressant.
J'avoue ne connaître pas un seul des néoacteurs que tu cites.
"Dans le coin des curiosités", aurais-tu sous le coude d'autres branches plus frenchy ?
Mille Mercis !
Eric Leger