Anaïs Nin a écrit : « Si je n’avais pas créé mon propre monde, je serais probablement morte dans celui des autres. » Elle parle de cette nécessité de se construire un univers à soi, un espace façonné par ce qui nous touche, ce qui résonne en nous.
Mais ces mondes ne surgissent pas en une fois. Ils se dessinent à travers des instants fugaces, presque imprévisibles. Une image, une parole, une odeur : et soudain, bam ! Ces éclats de vie, ces insight rush, éclairent un fragment du quotidien et lui donnent un sens inattendu.
Longtemps, je ne notais que ce qui me semblait avoir la consistance nécessaire pour un article. Le reste flottait, se dissolvait, se reformait dans les méandres de ma pensée. Mais depuis quelques semaines, j’écris tout. Chaque idée, chaque intuition.
Certaines ont déjà pris vie sur LinkedIn. Aujourd’hui, je vous en partage d’autres. Ces bulles qui m’ont traversée, sans ordre, sans cadre, juste pour ce qu’elles sont : des réflexions brutes.
Prompting : l’industrie du pipeau
Depuis la sortie de ChatGPT, une avalanche de “guides du meilleur prompt” a inondé la toile, vantant des formules miracles pour exploiter au mieux les capacités des modèles de langage. Mais en réalité, ces guides reposent sur une vision erronée de ce qu’est une IA générative.
Les LLMs (Large Language Models) ne sont pas des “engines” de réponses prêtes à l’emploi, mais des systèmes probabilistiques capables de produire du texte en fonction du contexte et des données fournies. Ces guides, qui prétendent détenir les clés absolues du prompting, échouent à saisir l’essentiel : la vraie maîtrise d’un modèle comme ChatGPT passe par l’art de la conversation, pas par des recettes toutes faites.
En bref, ces “best prompt guides” sont surtout des outils marketing : l’important, c’est d’apprendre à poser les bonnes questions, à itérer et à raffiner en fonction de ses besoins. Tout le reste n’est qu’emballage.
Le poids de l’excellence
J’ai acheté six verres de Murano, pensant qu’ils suffiraient. Je me suis trompée. On regrette rarement d’avoir pris trop d’une chose rare, mais souvent de ne pas en avoir assez.
Les alternatives en France ? Moins chères, mais lourdes, maladroites. Ironiquement, ce sont les plus coûteux qui se révèlent les plus légers.
L’expertise est comme le Murano : elle ne s’impose pas par le prix, mais par ce qu’elle allège. Et l’absence d’excellence, elle, alourdit tout.
Paradoxe humain
Dans l’annuaire des custom GPT, ces versions personnalisées de ChatGPT, une étrange tendance se dessine. Dans la catégorie “écriture”, le top 5 des bots les plus populaires se divise en deux : ceux qui génèrent du contenu grâce à l’IA et ceux qui le retravaillent pour le rendre plus “humain”.
En bref : nous confions à l’IA la production de textes, mais ces derniers, souvent marqués par des structures répétitives et des formulations prévisibles, trahissent leur origine artificielle. Pour y remédier, nous faisons appel à des algorithmes conçus pour imiter ce "deuxième regard", celui qui, chez l’humain, reformule, affine, et tente de donner un sens plus profond au premier élan.
Curieux, non ? Déléguer ce qui devrait nous appartenir. C’est le chemin de moindre résistance, un biais familier, largement exploité par la technologie. Mais posons-nous la question : ce n’est pas la machine que nous corrigeons, mais l’écho de nos propres absences. À force de supprimer les détours, nous finissons par effacer les chemins.
Abstractions humaines
Il y a des choses que l’IA connaît. Elle les décrit et les analyse avec précision. Mais tout cela reste abstrait.
Prenons la passion.
Pour elle, c’est un schéma. Une dynamique qu’elle décompose, un modèle qu’elle peut reproduire. Pour nous, c’est une tempête. Une force qui nous traverse, nous bouleverse, nous dépasse.
Ou le silence.
Pour elle, c’est une absence. Un vide dans le flux, une interruption qu’elle peut mesurer. Pour nous, c’est souvent une présence. Un espace habité, chargé d’intentions et de tensions, où se nichent mille choses invisibles.
Mais cette frontière n’est pas une limite : c’est un rappel. Là où l’IA perçoit des modèles, nous ressentons des mondes.
Alors, cultivons-les.
Les questions qui déplacent
Ma stagiaire pose beaucoup de questions. Pas pour obtenir des réponses, ni pour lancer un débat. Juste assez pour déplacer légèrement le regard de celui qui écoute. Des questions qui ne cherchent pas à savoir, mais à décaler.
Il paraît qu’en psychologie, on appelle ça des questions ouvertes, conçues pour faire émerger une réflexion. En coaching, on parle de questions puissantes, celles qui provoquent un véritable changement de perspective. Et en philosophie, c’est proche de la maïeutique, cet art d’aider l’autre à accoucher de ses propres idées.
Mais moi, je n’ai pas besoin d’un mot précis. Je les appelle simplement les siennes, parce qu’elles n’existeraient pas sans elle.
L’ami qui veut apprivoiser son cœur
On a tous cet ami qui semble vivre dans un futur que nous n’avons pas encore rejoint. Sa dernière lubie ? S’entraîner pour atteindre un rythme cardiaque au repos de 50-55 BPM.
La plupart d’entre nous fait du sport pour perdre du poids, se sculpter ou se vider la tête. Lui, il cherche autre chose : un cœur qui bat plus lentement, une variabilité cardiaque sous contrôle, un équilibre presque imperceptible. Kettlebells, calisthénie, routines de boxeurs… tout cela guidé par des maîtres modernes comme Pavel Tsatsouline et Andrew Huberman.
Au premier regard, cela paraît étrange. Mais en y réfléchissant, ce n’est peut-être pas si fou. Le vrai luxe, ce n’est plus un corps sculpté, mais un corps qui dure. Dans ces 50-55 battements, il y a un bien-être plus constant, moins éphémère. Cet ami n’est pas fou. Il a juste quelques battements d’avance.
Le secret des pirouettes
En danse, on apprend que pour réussir une pirouette, il faut fixer un point, ce repère immuable qui, au milieu du vertige, offre la stabilité nécessaire pour continuer à tourner sans vaciller.
Et voilà bien notre paradoxe contemporain : nous dansons frénétiquement, tournant encore et encore, mais sans point fixe. Avec tous ces outils et distractions, nous nous mouvons sans relâche, mais avançons sans savoir où atterrir.
Peut-être est-il temps de retrouver ce point d’ancrage…
Il nous faut, avec lucidité, appeler à une transition : passer d’une économie de l’attention – éclatée, distraite, vide – à une économie de l’intention, où chaque geste, chaque pensée, retrouve son poids et sa signification.
Le veilleur veillé
Mon père a rejoint le ciel en cette fin d’été. Pendant plusieurs semaines, j’ai vécu près de lui, pour lui, incapable d’écrire. La tristesse m’enfermait. Je me disais : j’ai perdu l’inspiration. Comment pourrais-je écrire à nouveau ?
Dans ses derniers jours, pourtant, j’ai commencé à écrire sur le deuil. Ce n’était pas ce que j’écrivais habituellement, et je doutais de mes mots. Mais ils sont venus, simples, évidents, comme si le deuil avait ouvert une porte.
J’ai toujours cru que c’était moi qui veillais sur mon papa. Pourtant, même malade, il veillait sur moi à sa manière. Il me faisait découvrir quelque chose de plus vrai, de plus nu. Ce n’est pas moi qui ai retrouvé l’inspiration : c’est elle qui m’a trouvée, à travers lui.
L’habit ne fait pas le moine
Dans le métro, je croise cet homme, gringalet, drapé dans des vêtements oversize. La mode ? Pitié, non. Plutôt une tentative maladroite de dissimuler une silhouette frêle. Certains croient même qu’un oversized peut masquer des courbes trop généreuses. Mais ces artifices ne cachent rien : ils trahissent tout.
Et cela m’a fait penser à l’IA. À ceux qui pensent pouvoir se cacher derrière elle, masquer leur manque de substance dans des textes trop larges pour eux. Mais l’IA ne dissimule rien : elle amplifie l’existant. Alors, un conseil : laissez vos mots tomber à votre mesure, car ce sont eux qui diront tout.
Philosophie à deux roues
Je fais de la trottinette classique depuis 10 ans. Je crois qu’on s’est enfin apprivoisées, elle et moi.
Quand je m’évade en musique, c’est toujours avec un seul écouteur. Les bruits sont essentiels : pour rester alerte, pour entendre, pour exister parmi les autres.
Les jours de pluie, j’évite les lignes blanches et les plaques d’égout. En automne, je me méfie des feuilles. Les bordures ? Jamais en diagonale. Et quand tout ça se croise ? Je descends.
Comme dans la vie : éviter les pièges, garder l’équilibre, avancer malgré les glissades. Avec un peu d’élan et beaucoup de souplesse, tout finit par rouler.
Le temps des réponses
Il arrive qu’on écrive sans vraiment saisir ce qu’on dépose sur le papier. Comme si certaines phrases étaient un puzzle dont les pièces manquantes ne se révèlent qu’avec le temps. Elles contiennent des sous-textes, des couches invisibles qui nous échappent. Et puis, un jour—parfois des années plus tard—on relit ces mots, et soudain, ils nous parlent. Non pas comme des étrangers, mais avec une voix que nous ignorions être la nôtre.
Pourquoi n’avons-nous pas vu leur sens à l’époque ? Parce que nous n’étions pas prêts. Ce n’est pas la réponse qui manquait, mais la capacité de l’entendre.
Et si l’IA était comme ça ? Pas une machine à réponses immédiates, mais un guide. Pas pour tout expliquer, mais pour accompagner, éclairer quand le moment est venu.
Parce que les meilleures conversations ne sont pas celles qui donnent des réponses, mais celles qui laissent le temps de les découvrir soi-même.
Ce qui nous éloigne du vivant
On dit souvent que l’opposé de l’amour est la haine, tandis que d’autres affirment qu’il s’agit plutôt de l’indifférence.
Mais en y réfléchissant, je crois que l’opposé de l’amour n’est ni la haine ni l’indifférence : c’est la peur. La peur de se dévoiler, de se perdre dans l’autre, de lâcher prise. Là où l’amour ouvre, unit et libère, la peur enferme, divise et paralyse.
Elle est ce qui nous éloigne du vivant.
MD
J'éprouve un grand plaisir en vous découvrant, de bulle en bulle, sans la coincer, de mot en mot sans maux !
Merci pour la beauté de votre langage et la finesse des sentiments évoqués !
Juste, vrai, émouvant. Merci Marie pour cette finesse, rare donc précieuse. Encore !