De la Conscience à la Méta-Conscience ?
À force d’avoir les yeux rivés sur la machine, on rate l’essentiel.
On scrute la machine. On attend son éveil. Quand deviendra-t-elle consciente ? Peut-elle penser, ressentir, se comprendre ?
Fausse piste.
À force de traquer l’intelligence des machines, on ignore la nôtre.
La pandémie du ressentiment
Le Trust Barometer d’Edelman n’a plus besoin d’introduction. Année après année, il mesure l’érosion de la confiance. Mais cette fois, le mot change. Ce n’est plus une simple méfiance, ni même une défiance. C’est du ressentiment. Une fracture profonde, qui ne se résorbe pas.
Ce n’est pas un simple glissement. C’est un cycle. Une dynamique qui se répète, un mouvement qui suit une logique implacable.
D’abord, l’effondrement des autorités traditionnelles. Pendant des décennies, l’État, les institutions, les médias portaient la parole de la vérité. Puis la confiance s’est déplacée. Vers les pairs, vers les communautés. On a cru au collectif, à l’intelligence partagée, aux recommandations horizontales.
Ensuite, la désillusion du social. On s’imaginait bâtir un nouveau socle de vérité sur la connexion entre individus. On a eu les bulles de filtres, l’explosion des polarisations, les vérités alternatives. Les réseaux sociaux, censés unir, ont divisé. Ils ont radicalisé, fragmenté, opposé. Le lien n’a pas remplacé l’autorité. Il l’a pulvérisée.
Et maintenant, le repli sur soi. Les institutions ont failli. Les pairs ont trahi. Alors la seule confiance possible, c’est en soi. Loin des consensus brisés, loin des débats saturés, une nouvelle forme de conscience émerge. Introspective. Hyper-personnelle. Chacun devient son propre référent, son propre juge, son propre guide.
N’était-ce pas inévitable ? Peut-être avons-nous voulu croire aux autres avant de croire en nous. Mais comment accorder sa confiance si l’on ne croit pas déjà en soi-même ?
L’ère du signal parasite
On s’est paumés dans le divertissement, au sens pascalien. Absorbés, hypnotisés. Facebook a explosé en 2007, Headspace est né en 2010. Certains avaient déjà compris : il fallait troquer le scroll pour le soul.
On a d’abord cru que le problème, c’était le FOMO – la peur de manquer. Qu’il suffisait de ralentir, de se déconnecter par moments, pour reprendre le contrôle.
Mais le piège était ailleurs. Ce n’était pas l’absence qui inquiétait, c’était l’excès.
Un like. Une vue. Une confirmation de lecture. Un "écrit..." qui disparaît. Une heure de connexion. Ou pire, leur absence, qui devient suspecte. Un ballet d’infimes stimuli, qui nous happent, nous conditionnent, nous épuisent.
Bienvenue dans le SOX : Signal Overload Experience. Trop de signaux, trop d’alertes, trop d’enjeux invisibles. Un trop-plein qui sature, qui consume.
Nous avons superposé une couche numérique au monde, jusqu’à en faire notre biotope. Une carte qui s’étend comme celle de Borges, jusqu’à masquer le territoire. Avec l’IA, cette carte devient encore plus dense, plus labyrinthique.
La fuite ou l'épochè
Le SOX n’est pas juste une surcharge, c’est un engrenage. Un système qui s’auto-alimente. Chaque signal appelle une réaction, chaque réaction nourrit la machine.
M2M – Machine to Machine – tourne sans nous. Algorithmes qui se parlent, flux autonomes qui s’ajustent en circuit fermé.
M2H – Machine to Human – nous bombarde d’alertes, nous formate, nous pousse à réagir.
H2M – Human to Machine – est devenu réflexe. Nos clics, nos mots, nos silences sont des données. Nous nourrissons l’algorithme, et il nous sculpte en retour.
Alors, sommes-nous encore aux commandes ou juste conditionnés à répondre ? L’instantanéité a tué la nuance. Il faut choisir:
Se perdre. Accepter l’hyper-simulation. Laisser la projection effacer la perception.
Ou faire silence. Suspendre le mouvement. Pratiquer l’épochè. Refuser d’être aspiré. Se détacher du flux avant qu’il ne devienne notre seule réalité.
Le tournant des LLM
Se débrancher est une réponse. Mais une autre voie émerge : utiliser la machine, non pour nous distraire, mais pour mieux nous comprendre.
Et ça s’observe déjà. Qui n’a jamais partagé une capture d’écran à un LLM ? On lui demande un avis “objectif”, on lui confie une situation, on attend une réponse, comme s’il était le meilleur psychologue du monde. Un confident. Un oracle moderne.
Mais il y a deux écueils :
D’abord, anthropomorphiser la machine. Lui prêter une conscience, des intentions, là où il n’y a que des corrélations mathématiques. Ce n’est pas une pensée, c’est une illusion statistique.
Ensuite, croire que ces modèles captent notre singularité. Ils lissent, uniformisent, écrasent les nuances. Mais nous ne sommes pas une moyenne. Nous sommes nos excès, nos fulgurances, nos failles. L’IA ne les perçoit pas. Elle nous réduit à un schéma prévisible, un bruit parmi d’autres dans le grand calcul du probable.
De l’IA Générique à l’IA Signature
Donc en réalité, il nous faudrait un LLM, mais personnalisé.
Qui n’a jamais rempli un MBTI, un test DISC, un Big Five ou un Gallup Strengths ? Ces tests psychologiques promettent un éclairage sur notre personnalité, nos forces, nos biais. À la recherche d’une vérité sur soi, d’un cadrage, d’un reflet plus net. Mais ils ont un défaut : ils figent ce qui devrait être en mouvement.
On découvre un profil, on s’en amuse, parfois on s’y reconnaît. Un coach peut aider à l’intégrer, mais bien souvent, le quotidien reprend. L’insight s’efface, l’habitude reprend le dessus.
Se connaître ne devrait pourtant pas être un cliché psychométrique, mais un processus vivant.
Ainsi, il y a quelques semaines, l’un de mes lecteurs, Éric de Rochefort, m’a contactée. Sa proposition ? Développer un custom agent GPT, mon guide de management – ou Moleskin, pour les intimes – conçu spécialement pour moi
Le principe est simple : je remplis un test de personnalité, nous le validons ensemble, puis l’agent devient mon coach de poche. Un assistant qui me connaît réellement.
Sa force ? Contrairement à un modèle générique, il ne lisse pas, il singularise. Il fonctionne selon mes propres méthodes de pensée et de structuration, notamment avec une logique MECE et une approche First Principles, qui déconstruit un problème jusqu’à ses fondamentaux avant de le reconstruire.
Il est bâti selon le modèle de l’interactivité socratique : pas seulement des réponses, mais des questions qui structurent et affûtent ma pensée. C’est un peu mon sparring-partner.
Voici un exemple (et bien sûr, on dit naturellement 'dis' avec un S et non 'dit' avec un T) :
Un LLM classique aurait sans doute répondu à la première partie, mais sans saisir mon mode de fonctionnement ni fournir une réponse réellement contextuelle à la seconde. Autrement dit, s’il peut nous aider à comprendre une situation, il reste limité dans sa capacité à comprendre comment nous, en tant qu’individus uniques, percevons et interprétons cette situation.
La Méta-Conscience ?
Les malentendus viennent d’une illusion : croire que l’autre pense comme nous.
On apprend à dire : "Je suis bleu, il est jaune", en référence au modèle DISC. Mais nommer nos différences ne suffit pas.
Ce qu’il nous faut, c’est une intelligence contextuelle. Un repère. Un guide. Quelqu’un qui nous aide à penser selon nous.
Imaginez. Demain, nous avons tous notre Moleskin. Nos collègues aussi.
Nous entrons dans une nouvelle ère de conscience de soi. Non pas un simple éveil. Une expansion.
La Méta-Conscience.
Notez que je n’emploie pas le mot augmenter. Je le déteste. "Augmenter" l’humain, c’est encore ajouter. Comme si nous n’étions pas déjà saturés.
Expandre, c’est différent. C’est déployer.
Jean-Yves me l’a soufflé un jour. Depuis, ça résonne.
Les pieds bien ancrés. L’esprit qui s’étend.
La vraie révolution est là.
MD
PS - Si vous souhaitez en savoir plus sur Moleskin, c’est par ici. Ce post (comme tous mes articles) n’est pas sponsorisé, et j’ai moi-même payé le setup de mon Moleskin.
j'utilise encore un vrai moleskin en papier comme conscience et connaissance la lenteur de Ecriture, l’objet physique rien de mieux pour prendre conscience, le dessin pas grand chose échappe au regard au contraire de la photo par exemple, je recommande, pas besoin de configurations connaissances techniques les objets archaïques se font oublier au contraire des techniques ou on fini toujours par accorder plus d'importance à l'outil qu'au reste
"Il fallait troquer le scroll pour le soul." de vraies paroles à intégrer à un bon rap :D
Plus sérieusement, la réflexion sur le côté "augmenté" m'a fait comprendre pourquoi ce terme me dérangeait autant. Comme si nous n'étions pas "suffisant" d'une certaine façon, croire cela nous amène à perdre une partie de notre essence. Merci @Marie.
PS : je n'ai pas trouvé comment activer Moleskin