Cette lettre est inopinée. J’écris peu lorsque les maux pèsent. J’écris davantage quand la vie me souffle de reprendre. Ce va-et-vient, à la fois intime et universel, révèle la fragilité d’un équilibre subtil qui, je crois, nous relie tous.
Écrire, peut-être, c’est cela : laisser parler le feu en nous, peu importe l’heure. Même dans le froid du numérique, les mots pesés conservent leur chaleur. Vous ne trouvez pas ?
Aujourd’hui, le profil de Philippe Daga, fondateur de Troisième Acte, a retenu mon attention : “From living at work, to working at living.” Une phrase simple, mais puissante. Elle m’a fait penser à mon ami Patrick Kervern, ex-Google, qui a fondé Second Act, premier cabinet dédié à la transition de vie. Et entre ces deux visions ? Peut-être Élan, comme celui de Laurent Thillaye du Boullay (également ex-Google, mais je vous laisse tirer vos propres conclusions), qui définit sa société comme l’équivalent d’une préparation physique pour la course… mais appliquée au mental.
Ce que cela m’inspire ? Un contraste saisissant avec notre conception historique de la carrière.
Car-rière : un "car" avançant sur un trajet balisé, d’un point A à un point B, avec arrêts prévus et objectifs rigides. Mais la vie n’est pas linéaire. Elle échappe aux plans, et ce mot rassure autant qu’il ment.
En parlant de deuxième ou troisième acte, ou même d'élan, on quitte cette linéarité pour une scène vivante, où chaque acte devient une possibilité de réinvention.
Dans ce moment liminal où l’IA générative redessine les possibles, distinguer l’efficacité de l’efficience devient essentiel. L’automatisation, si efficace soit-elle, ne résout rien. Car à force d’abuser de machines, ne finirons-nous pas par créer d’autres machines pour nous lire les premières ? La machine mime l’intelligence, mais l’homme, dans sa révolte, sait toujours ruser avec son intuition.
Et si tout peut être automatisé, tout doit être humanisé.
Demain, nous n’aurons pas seulement des cabinets de consulting, mais des cabinets de dépassement de soi, des architectes du temps, des chefs-psychologues, des mentors de résilience, des curateurs de sens, des consultants en rêves, des médecins de l’âme, des neuro-architectes, des régénérateurs d'écosystèmes et bien d’autres encore.
Car, une scène, à la différence d’une carrière, respire d’un souffle unique. Elle s’anime de silences, de tensions, de personnages libres, affranchis des stéréotypes. Ce qui compte, ce n’est pas la vitesse, mais l’élan, cette justesse fragile qui donne une âme aux gestes et une profondeur aux mots. Une sensibilité.
Le mot sensible provient du latin sensibilis, lui-même dérivé de sensus, cette faculté de ressentir, et du suffixe -ible, qui exprime une idée de possibilité. Être sensible, c’est être apte à ressentir et à être ressenti, à accepter le risque d’être atteint. C’est dans cette vulnérabilité que réside l’authenticité : seuls les actes qui nous touchent au plus profond portent en eux une véritable conviction.
Ainsi, dans cet horizon technologique, c’est le sens qui trace une direction, mais le sensible qui donne une âme. Et c’est là, je crois, que réside la vraie richesse : dans ce qui reste en nous, en l’autre.
Comme l’exprime Seth Godin : « Nous ne manquons pas de bruit, mais il y a toujours une place pour plus de beauté. »
Parce qu’il est grand temps de réinventer la manière dont nous nous racontons.
MD
PS. En lien : l’article que j’ai co-écrit avec Antoine Mestrallet sur “le numérique sensible” :)
Je suis venue pour l’analyse tech, je reste pour la réflexion philosophique. Merci Marie!
Comme toujours, c'est tellement juste! Et joliment raconté