Tic Tac Tic Tac... Vous voilà transportés en janvier 2018, lorsque The Fabricant, la première maison de couture numérique au monde arrive sur le marché. Sa vision se veut audacieuse et ambitieuse : poser les bases d'un nouveau secteur de l'habillement exclusivement numérique. Pour y parvenir, la marque utilise la conception de la mode en 3D ainsi que des outils et des techniques d'animation issus de l'industrie des effets visuels cinématographiques. L'objectif ? Des expériences de mode numérique hyper réalistes sans équivalents dans la vie réelle.
Cela peut sembler de prime abord, quelque peu fantasmagorique, vous ne trouvez pas ? On pourrait croire à un subterfuge marketing, ou à un projet quelque peu futuriste. Finalement, est-ce si loin de nos considérations et de notre vie quotidienne ? Non, je ne pense pas. Depuis le lancement de The Fabricant, de nombreuses marques suivent le mouvement. Alors oui, croyez-le ou non, vous succomberez probablement à la mode digitale bien plus tôt que vous ne le pensez. Décryptage.
Repenser notre consommation de mode (enfin !)
Avant de plonger dans le sujet, en quoi consiste la « digital fashion » exactement ? Cela concerne tout type d'article de mode qui existe dans le monde numérique. Elle peut prendre de nombreuses formes, comme les skins portés par les avatars dans les jeux vidéo, ou encore les tenues numériques que les personnes superposent virtuellement sur leurs photos. En bref, il s’agit d’une façon de s'habiller digitalement. (Pour un avant/après, vous pouvez consulter ce post Instagram).
Il est certain que la mode virtuelle va s’installer durablement dans le paysage. Deux arguments majeurs expliquent sa montée en puissance :
Le premier se trouve lié à la prise de conscience de la non-durabilité de l'industrie de la mode, qui représente 10 % de toutes les émissions humaines de carbone. C'est plus d'émissions que tous les vols internationaux et le transport maritime réunis (ahurissant !). De surcroit : 30 % de la production mondiale finit dans des décharges ou incinérée dans les 12 à 18 mois, tandis que la durée moyenne d'utilisation des marques de fast fashion ne cesse de diminuer. Pour des statistiques encore plus poussées sur le sujet, vous pouvez lire cet article du World Economic Forum.
Le second argument a trait à l'évolution de notre société vers une réalité numérique plus prononcée, laissant entrevoir l'émergence de la Metaverse. Aujourd'hui, nous nous trouvons plongés dans une phase de test et d'apprentissage – nous repensons notre vie numérique et ce dont nous avons besoin et par conséquent nos biens numériques. Avec jusqu'à 100 millions d'images téléchargées chaque jour juste sur Instagram, le contenu représente un élément incontournable. Il semble pertinent d’affirmer que ces contenus s’avèrent aussi importants que nos biens physiques. Maintenant, sachant tout cela, à une époque où nous vivons de plus en plus une vie en ligne, pourquoi ne pas y ajouter un peu de fun et de couleur ?
Vous me voyez venir ? La mode virtuelle exerce sa magie précisément, à l'intersection de ces réalités.
Observer les nouveaux arrivants qui mènent la danse…
Si j'ai toute votre attention, vous vous souvenez sans doute que de nombreuses marques s’inscrivent dans cette tendance, n'est-ce pas ? Vous pouvez ainsi observer les nouveaux acteurs 100 % digitaux.
Je vous invite à découvrir la marque DTC The Tribute, qui constitue l'une des premières à voir le jour en avril 2020. Une autre marque emblématique de cet espace est Republiqe. Des commerçants multimarques ont également fait leur apparition, tels que XR Couture, Replicant ou Dress-X.
Vous vous interrogez certainement sur le fait de savoir comment ces marques fonctionnent-elles côté B2C. Le process est finalement assez simple :
Vous vous prenez en photo (Modalités précises consultables ici)
Vous choisissez et payez le vêtement sélectionné (certaines marques proposent une version statique ou une version animée.)
Dans un délai de 1 à 6 jours, des "tailleurs numériques" superposeront virtuellement le vêtement sur votre photo. Une fois la photo reçue, vous êtes prêt à partager votre "œuvre d'art vestimentaire" sur les médias sociaux.
Si vous faites partie des férus de mode caractérisés par un style unique, ne vous inquiétez pas, vous y trouverez aussi votre compte. En effet, si les marques de mode numérique ne disposent pas de stocks, elles jouent souvent sur la rareté, limitant la disponibilité d'un article pour en accroître l'exclusivité. Certaines marques vont même plus loin et vous permettent de réaliser une commande personnalisée. D'autres marques, telles que XR Couture, offrent la possibilité d’ajouter des retouches personnalisées supplémentaires à votre photo (effets spéciaux, personnages, etc.)
Ne perdez pas de vue que nous nous situons encore aux prémices de cet usage. À l'avenir, le process va s’automatiser et gagner en rapidité et fluidité. En un clin d'œil, vos magnifiques vêtements digitaux ne seront plus seulement en photo, mais aussi dans vos appels vidéo. Subham Jain, fondateur et directeur de la création de XR Couture, prédit un service par abonnement à la Snapchat, où vos filtres les plus populaires consisteront en des nouveaux vêtements. Vous pouvez également consulter les applications d'AR comme Vyking ou Clometrica pour un aperçu de ce qui, à terme, devrait devenir une « nouvelle norme ».
Dans une interview avec le magazine Numero, la co-fondatrice de Dress-X, Daria Shapovalova explique avoir découvert que 9 % des consommateurs dans les pays développés achètent de nouveaux vêtements afin de se prendre en photo pour leurs réseaux sociaux. D’ailleurs, vous vous souvenez certainement d'avoir lu des articles sur des influenceurs qui achetaient des vêtements pour les afficher sur Instagram avant de les renvoyer. De manière concrète donc, ces marques ont créé une nouvelle façon d'acheter du contenu pour alimenter ces publications sur les médias sociaux, de manière plus durable et plus amusante.
Fascinant, n'est-ce pas ? Mais ne vous contentez pas d’observer ce qui se passe en surface et regardez ce qui se trouve sous l'iceberg... les centaines – et bientôt les milliers – de créateurs de mode numérique passionnés qui alimentent le marché. Il s’agit de personnes comme vous et moi : Alexander, Kate, Edward, ou encore Mary.
Vous comprenez ? C'est une tendance drivée par les consommateurs. Voilà son ampleur ! Alors, il est temps d’ouvrir grand notre esprit et nos yeux…
Les acteurs traditionnels sont déjà en marche !
Les acteurs traditionnels ne sont pas en reste et expérimentent également la mode numérique sous différents angles.
Le créateur de mode Patrick McDowell, par exemple, a ainsi lancé une collection intitulée "Catholic Fairytales" (nldr: Contes de fées catholiques) pendant la semaine de la mode d'Helsinki. Ici, la clé réside dans l'expérience et la créativité. Il suffit pour s’en convaincre de lire le descriptif du manifesto de la collection, et vous comprendrez mon point de vue. J'ai encore des paillettes dans les yeux, mais je vais peut-être économiser mes larmes, dans l’éventualité où elles se transformeraient en diamants !
Pour autant, la création d'une expérience permettant de passer de l’ombre vers la lumière dans une pièce ne saurait constituer la seule réponse. Nous devons nous assurer qu'il existe un interrupteur dans la pièce pour déclencher quelque chose. Certaines marques ont donc adopté une approche pratique, constatant l'essor du gaming et élaborant des collections numériques pour une expérience de jeu très concrète. Parmi les exemples notoires, citons la collection de Gucci x North Face pour Pokémon Go. Les applications de fashion gaming telles que Drest ou Aglet (un jeu de baskets) ouvrent également de nouveaux horizons créatifs.
Enfin, on retrouve les expériences dites « phygitales ». Je vous présente ici deux exemples que je trouve particulièrement intéressants.
Le premier correspond à la marque de mode appelée Carlings. Dans l'une de leurs collections, Carlings vous propose des « Statement Tee-shirts » avec des messages interactifs. En d'autres termes, il s'agit d'un tee-shirt tout ce qu'il y a de plus réel, que vous pouvez acheter et enrichir numériquement grâce à une version personnalisée d'un filtre Facebook/Instagram. Ainsi, vous pouvez activer votre t-shirt chaque jour avec un nouveau message numérique pour ensuite le partager sur les réseaux sociaux. Tout cela – comme l'indique le site web – sans avoir à acheter un autre t-shirt. Astucieux, non ?
Un second exemple que j'aime beaucoup concerne la marque de mode numérique biomimétique Auroboros (Alexander McQueen). En regardant attentivement, on remarque qu'ils possèdent une ligne de produits associés à des produits réels qui imitent l'aspect et le feeling de leur gamme numérique. Par exemple, on retrouve une coque de téléphone écologique et 100 % biodégradable. Si on fait défiler l’image vers le bas, nous accédons aux Zooms backgrounds. Pour ceux qui ont téléchargé mon rapport sur les tendances social media (et pour ceux qui ne l'ont pas fait, vous pouvez toujours l'acheter ici), vous vous souvenez que j'avais écrit que les marques ont besoin d'un hub de marque pour regrouper leurs goodies digitaux ? Nous y sommes, chers amis. C'est là que tout commence.
Décollage imminent, attachez vos ceintures !
Du point de vue du consommateur, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles on désire porter des habits digitaux, en particulier si on fait partie de la GenZ. La mode numérique peut en effet permettre d'exprimer sa créativité avec des vêtements que personne ne porterait dans le monde réel. Cela ouvre également un accès à des vêtements "haute couture" auparavant inaccessibles. Tout cela s’intègre dans une vision plus audacieuse, où la créativité domine.
Du point de vue de la marque, cela s’apparente à un moyen de concilier les impératifs de durabilité avec de nouvelles façons de séduire les consommateurs en ligne, de nouvelles expériences, comme explicité précédemment. Mais cela revêt également d'autres formes. Le fait de disposer de jumeaux numériques de ses collections laisse entrevoir de nombreuses opportunités. Imaginez qu'on les utilise avant le lancement d'une collection physique pour déterminer les best-sellers et adapter ensuite sa production…
Cependant, pour que ces expériences deviennent un « game changer » dans la vie des consommateurs, il faut un contrôle et une pleine appartenance de ces actifs numériques de mode. De cette façon, on peut posséder, gérer et échanger dans différents endroits et ainsi monter en puissance. Des entreprises telles que Lukso et Dematerialised s'attachent à relever ce défi en authentifiant les actifs 3D sur la blockchain. D’autre part, de nombreuses marques de fashion emboîtent le pas grâce à des drops NFT.
Une autre entreprise mérite d'être observée dans cet espace, à savoir : Digitalax, qui se décrit comme la première boîte à outils de mode numérique sur Ethereum. Son objectif vise à permettre l’expression de soi par le jeu, la RV et l’espace de contenu numérique 3D.
"La prochaine Coco Chanel est probablement une fille de 10 ans qui crée actuellement des skins pour avatars dans Roblox", écrit la futuriste Cathy Hackl dans un article paru sur Forbes. Vous ne vivez pas un épisode de Black Mirror, vous entrez dans un nouveau culte fashion. Une question se pose alors : êtes-vous prêt à embrasser ce mouvement ?
Marie
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Juste merci Marie pour tes merveilleux insights.
C'est d'une richesse folle merci ! Est-ce que le point de bascule ça ne sera pas l'arrivée de ces vêtements digitaux dans le monde réel, ou bien je suis encore trop attachée à notre réalité non virtuelle ? J'imaginais un monde où on porterait tous des vêtements robustes et neutres, supports de vêtements numériques les plus fous !