Il faut savoir
Le web ambiant promet une ère (presque) sans smartphone et avec l'intention des humains en son cœur. Un web adulte, en somme ?
Ce post a été co-écrit avec le très brillant
dont je vous recommande vivement la newsletter.Sables anciens, circuits modernes
Les Sona, pratique ancestrale chez les Lunda Cokwe et les communautés avoisinantes de l'est de l'Angola, se caractérise par le tracé de figures géométriques sur le sable, exprimant croyances, émotions et le lien profond entre l'homme et la nature.
Avec leurs doigts, les participants dessinent sur un sable humide, transmettant récits et savoirs aux nouvelles générations. Les Sona, art et vecteur d'identité culturelle lors des rites d'initiation, enrichissent la mémoire collective et le sentiment d'appartenance. Cela démontre comment l'homme, par ses gestes, parvient à relier communauté, aspirations et intentions.
Nous avons peut être oublié cette connexion profonde au fil des années de développement des ordinateurs personnels et de l'utilisation d'internet. Apprendre à utiliser une souris - une prouesse technologique et conceptuelle imaginée en 1968 par Douglas Engelbart et son équipe du Stanford Research Institute - a incité une forme de domestication de l’humain en lui imposant une manière d'utiliser les ordinateurs, permettant principalement une navigation en 2 dimensions. En d'autres termes, passer d'une ressource à une autre, tout en ajoutant des instructions via un clavier. Cette vision est fortement remise en question par l'accélération des LLM (modèles de langage à grande échelle) multi-modaux et des interfaces cerveau-ordinateur (BCI) à un rythme effréné. Conduisant les humains à créer une nouvelle expérience spatiale, immersive et multidimensionnelle avec les ordinateurs.
Ce phénomène pourrait être perçu comme un mouvement “a-smartphone” voire même "Anti-smartphone". Chaque jour révèle son lot de nouveaux gadgets d'intelligence artificielle - du Pin Humane Ai, au Rabbit R1, en passant par les lunettes IA de Brillant Labs et une panoplie de jouets IA. Ces avancées muent les humains en interfaces vivantes de la technologie. La grande interrogation demeure : parviendrons-nous à maîtriser cette nouvelle ère ou en deviendrons-nous les esclaves ?
L’humain-interface: un nouveau marché
La mode se positionne à l'avant-garde de cette révolution. Anouk Wipprecht, pionnière dans le développement de prototypes basés sur les BCI, souligne un tournant : « Les dispositifs électroniques qui nous entourent ne se contentent plus de 'nous entendre', ils commencent également à 'nous ressentir' ». Ainsi, les BCI et l'IA promettent de révolutionner notre conception de l'espace personnel, en matérialisant des données invisibles en résultats tangibles, tels que des motifs de haute couture, des indications visuelles, ou en révélant des aspects de notre environnement qui échappaient jusqu'alors à notre perception. Cette évolution trouve un écho dans les mots du poète surréaliste Paul Éluard, qui proclamait : “Il y a un autre monde mais il est dans celui-ci.”
Les BCI appliquées à la mode nous interpellent également sur l'espérance de vie de nos vêtements préférés et leur valeur réelle. Si nous sommes habitués au concept de transmission des montres de luxe (comme le célèbre « Jamais vous ne posséderez complètement une PATEK PHILIPPE » de Patek Philippe), nous sommes aujourd'hui face à une opportunité immense : celle de ne pas seulement vendre un sac ou une robe d'occasion, mais de transmettre dans un futur proche une partie de l'histoire enregistrée. Les articles de mode intégrant les BCI - et donc les souvenirs - pourraient soudain devenir les nouveaux trésors. Vous trouvez cela trop utopique ou naïf ? Pourtant, eBay vient d'annoncer ce mercredi trois transactions d’envergure avec Collectors, la société mère de PSA (Professional Sports Authenticator), donnant ainsi un coup d'accélérateur à l'économie des cartes à collectionner.
Le futur sera-t-il vraiment « screenless » ?
Cette interrogation, captivante à bien des égards, nous pousse à considérer si les progrès technologiques s'avèrent bénéfiques ou préjudiciables à notre santé mentale, déjà mise à rude épreuve. Inévitablement intégrée à notre quotidien, la technologie peut limiter nos interactions en raison de contraintes matérielles, comme l'autonomie réduite des batteries qui bride nos activités extérieures ou l'exposition à la lumière bleue qui incite à rester à l'intérieur. Ces aspects, bien que mineurs en apparence, exercent une influence considérable sur notre société, alimentant la solitude et engendrant ce qu'on appelle « the introvert economy ». Tandis que l'informatique ambiante nous promet une expérience sans couture, le véritable enjeu réside dans notre capacité à dépasser la conception addictive du software. Cela est particulièrement vrai pour les réseaux sociaux, qui engendrent un cycle de dépendance à travers des interactions motivées par la reconnaissance sociale.
Pour autant, des alternatives au web ambiant se frayent subtilement un chemin.
La technologie E-ink, autrefois réservée aux liseuses, alimente désormais les dumbphones (ou devrions-nous les rebaptiser wise-phones ?) tels que The Light Phone, ainsi que le très attendu Daylight Computer, conçu notamment pour une utilisation en extérieur afin de s'aligner sur nos rythmes circadiens.
Le Daylight Computer vise également à pallier les symptômes de l'apnée de l'écran — un terme désignant les perturbations respiratoires et l'anxiété accrue causées par l'éblouissement des écrans traditionnels. Ce problème met en lumière notre inadéquation évolutive avec les appareils qui émettent plutôt que reflètent la lumière, soulignant la nécessité d'une "harmonie évolutive" dans la technologie qui s'accorde avec notre bien-être biologique et psychologique.
Redéfinir la technologie avec intention
L'évolution s'étend bien au-delà de l'e-ink, adoptant une philosophie de conception qui met l'accent sur l'interaction riche et l'épanouissement personnel, dépassant les métriques d'engagement classiques.
Cette approche favorise la quête de sens communautaire, le développement personnel et la pleine conscience. Elle incite à délaisser les indicateurs binaires tels que les boutons 'j'aime' et le temps passé devant les écrans, pour favoriser une satisfaction plus profonde et des connexions authentiques. Ce faisant, elle soutient un mode de vie numérique minimaliste où les capacités limitées sont considérées comme des fonctionnalités, non des bugs.
Il faudra également être attentif à ne pas sous-estimer l'importance de "la friction intentionnelle" - des éléments spécifiques de conception intégrés lors de la création des expériences utilisateurs, qui encouragent la réflexion plutôt que des actions impulsives. Cette approche permet une interaction plus consciente avec la technologie, et loin de s'opposer à un monde sans smartphone, elle représente une évolution naturelle vers l'éloignement des interfaces utilisateur traditionnelles.
Envisager le futur c’est aussi créer des environnements numériques qui redonnent du contrôle aux utilisateurs, offrent plus de transparence et favorisent un équilibre entre nos vies biologiques et numériques. La véritable révolution réside dans l'harmonie entre les LLMs, les BCIs et leur utilisation responsable et éthique.
Dis-moi ce que tu screenshotes, je te dirai qui tu es
À travers les frictions, l’effort induit favorise les cycles d’apprentissage. Nous entrons dans une ère où les technologies deviennent plus intentionnelles. Elles transforment les utilisateurs en créateurs actifs, dépassant les limites des écrans pour explorer celles de l'imagination. Prenez l'exemple de Co — Star, phénomène astrologique et application parmi les plus screenshotées et partagées dans les réseaux sociaux. Elle mise sur une UX intentionnelle avec des innovations comme les horoscopes composites et des exercices de communication. Loin de simplifier, elle complexifie, invitant les plus curieux à plonger plus profondément et à matérialiser ces découvertes dans le réel. Ingénieux, exigeant, addictif.
Planète, humanité, habitat : une symbiose totale
Adopter une perspective élargie nous invite à accueillir la notion de "troisième grand décentrement,” qui approfondit la perception de notre rôle au sein de la complexité à l’échelle planétaire. Proposée par Jonathan S. Blake et Nils Gilman cette réflexion met en lumière la manière dont l'harmonisation de nos technologies avec notre environnement engendre un échange plus dense et significatif avec le monde naturel qui nous entoure.
« Le concept scientifique du Planétaire se concentre sur la Terre comme un réseau complexe d'écosystèmes, intégrant de multiples couches entre divers systèmes biogéochimiques et êtres vivants — humains et non-humains. S'appuyant sur la science des systèmes terrestres et la biologie systémique, cette compréhension holistique est rendue possible par de nouvelles technologies de perception à l'échelle planétaire – une technosphère rapidement en développement de capteurs, de réseaux et de superordinateurs qui, collectivement, rendent le système planétaire de plus en plus visible, compréhensible et prévisible. Ce récent exosquelette intelligent — essentiellement un organe sensoriel distribué et une couche cognitive — favorise une forme sans précédent de sagesse planétaire. » Noema.
L'enthousiasme pour fusionner technologie et nature dans une démarche de biomimétisme s'intensifie grâce aux interfaces intelligentes. RooBadge de Volkswagen illustre ce phénomène en utilisant le GPS et des dispositifs sonores ciblés, basés sur des études comportementales des kangourous, pour prévenir les collisions de véhicules avec ces animaux en Australie. Cette approche innovante souligne la capacité de la technologie à harmoniser les activités humaines avec la conservation de la faune. Autre exemple : ASH initie les enfants à la biodiversité à travers un "pokédex" boosté à l'IA, transformant les photos de plantes et d'animaux en cartes interactives et éducatives, engageant ainsi la prochaine génération dès le plus jeune âge.
Cette mutation se traduit également par l'émergence de kits technologiques DIY open-source, un écho à l'ingéniosité des Néandertaliens façonnant leurs outils à leur époque. TERRA, un compas conçu pour l'immersion en pleine nature, atténue les distractions numériques tout en renforçant notre connexion avec l'extérieur. Ce projet DIY (voire AIY - le terme métier utilisé par Google), qui combine téléchargement de logiciel, impression 3D, et assemblage manuel, est conçu pour être accessible à tous.
En démystifiant la technologie et en remettant le pouvoir entre les mains des utilisateurs, cette approche tire parti de l'effet IKEA, où la valeur ajoutée réside dans l'effort personnel investi dans l'assemblage. Ce processus révèle un attachement plus profond à nos projets de bricolage, enrichissant bien au-delà du simple plaisir de créer : cela booste notre bien être mental, nourrit un sentiment d'accomplissement et renforce notre estime de soi.
Intégrer la vision planétaire à notre avancée technologique promet de transformer nos vies, tant individuellement que collectivement, influençant notre empreinte sur la Terre. Cela nous oriente vers un futur où la digitalisation enrichit la symbiose avec la nature, plutôt que de la perturber, en cultivant une sagesse planétaire qui embrasse notre écosystème tout entier.
Inclure ces perspectives dans notre narratif numérique ne se contente pas d'enrichir le débat ; cela nous convie à engager dans un avenir plus holistique et intégré, un futur où nos dispositifs, plateformes et systèmes manifestent une compréhension profonde et un respect pour la danse complexe de la vie sur Terre.
C'est un puissant rappel que, in fine, le web, c'est nous - des hyperliens à l'hyperconscience.
MD &
Passionnant ce point de vue documenté qui ouvre enfin des perspectives. De nombreux points soulignant"l'addiction"je les reconnais, je les vis au quotidien malgré moi
Qu'est ce que j'ai kiffé cet article !!!! Le bénéfice secondaire, ou plutôt devrais-je dire le déficit secondaire, c'est que j'ai passé 45' sur mon écran à le lire, et aller visiter tous les liens ;-). C'est en plus très lié à une de mes dernières lecture "la petite princesse", premier tome de la révolution bleue de Jean pierre Goux. Well done !