Influence Marketing : ça va swinguer !
Cultes, verticalisation et pivots... le secteur de l’influence marketing se transforme en profondeur... pour mieux nous séduire ? Décryptage.
Et si vous le souhaitez, vous pouvez aussi écouter ma douce voix mélodieuse vous lire ce post ici, en mode artisanal.
🐔 TikTok remet les cultes au goût (très discutable) du jour
Step Chickens : soit le doux patronyme d’une app classée fin mai dans le top 10 de la catégorie “réseaux sociaux” de l’Apple store US, app lancée du reste par Mélissa Ong, une ancienne Googler qui a quitté son job pour embrasser une carrière d’influenceuse sur TikTok. Et cette carrière s’annonce d’ores et déjà prometteuse, la dame comptabilisant plusieurs succès à son actif, dans le coaching de vie notamment, grâce à ses conseils qui permettent à tout un chacun de se révéler :
« si vous n'êtes pas heureux en tant que célibataire, alors vous ne serez pas heureux dans une relation car le bonheur ne vient pas des relations, il vient de la drogue ».
Décidément, nos enfants auront beaucoup de choses à raconter lorsqu’ils seront en psychanalyse dans 15 ans. Revenons à nos moutons. Cette succes story est relatée avec minutie par l’expert tech Josh Constine sur son blog, dont je me fais la porte-parole pour sa version outre atlantique.
L’ex-journaliste, reconverti VC, explique ainsi que l’audience de cette influenceuse est montée en flèche lorsqu’elle a incité ses fans de la première heure à demander à d’autres personnes influentes de lui faire … des farces. Exemple : demander à 7000 contacts de marquer une personne spécifique dans les commentaires d'une vidéo de chèvre (oui, cela ne s’invente pas). C’est dans ce contexte foisonnant de dynamisme et de créativité qu’elle a lancé l’app Step Chickens, que l’on pourrait traduire en toute élégance par « En marche les poulets » (toute ressemblance avec des slogans réels est bien évidemment fortuite). En substance donc : une app qui permet de créer des courtes vidéos à partager au sein de la communauté et au-delà afin de glorifier la “mère poule”, surnom affectueux qu’elle s’est elle-même attribuée.
Consécration immédiate : à sa demande, des centaines de fans enthousiastes ont remplacé leur photo de profil par un montage via l’app à son effigie. Un phénomène isolé de mégalomanie ou le nouvel opium des peuples internautes ? Jugez-en par vous-même : à l’heure où je vous écris, près d’une centaine de « cultes » se forment sur TikTok. Des cultes, vous avez bien lu. Un phénomène que l’on observe également dans une certaine mesure au sein de la sphère gaming, notamment dans Animal Crossing . L’objet du culte y est, de manière directe et comme son nom l’indique, l’animal.
Rien d’étonnant, historiquement dans les cultes primitifs, les animaux faisaient l’objet d’une ferveur populaire à l’international : l’ours se distinguait dans plusieurs croyances à la surface de la planète, le jaguar au Brésil et chez les guatémaltèques, le crapaud en Amérique du Sud, le crocodile en Egypte ... Ces nouvelles idoles numérico-animalières ont juste subi un lifting 3.0, plus “cute”, plus sympatoche. Admiration ou effarement ? Quel que soit votre ressenti, force est de constater que le phénomène trouve en grande partie son explication dans les doutes et incertitudes de la crise covidienne, très justement qualifiée d’« asphyxie affective, sociale et tactile » par un chroniqueur du Point. Qui ne chercherait pas un peu de divertissement, une échappatoire pour apaiser les angoisses, et créer un sentiment d’appartenance … l’illusion d’un confort émotionnel, en somme, à la mode kawaii ?
⚡️ Business lucratif et redistribution des cartes
Un confort émotionnel donc ... qui s’avère fort lucratif pour l’heureuse élue. Par-delà la viralité du phénomène, la dame s’offre un joli coup marketing grâce au merchandising : un magasin avec des produits dérivés pour les « Step Chickens » qui rapporte gros à Melissa Ong et constitue un signe fort dans l’écosystème de l’influence qui vivait jusqu’à présent sous perfusion des marques via notamment le sponsoring et le placement produit, l’évènementiel, les modèles d’affiliation ou encore la co-création. Depuis quelques mois, et comme je l’expliquais déjà il y a un an dans cet article pour Viuz, ces sources de revenus se diversifient avec une particularité forte : la monétisation directe auprès des audiences, grâce à des abonnements, des donations, des pourboires, avec à la clé des services ludiques comme “buy me a coffee”, voire même la création d’une activité, consulting, coffee shop, les exemples ne manquent pas. Pas étonnant que la Chine, en avance en matière d’usages digitaux, ait lancé des “incubateurs d’influence” pour former les gens à ce business en pleine émergence.
Et là une petite confession : je n’ai jamais aimé le terme “influenceur” que je trouve un peu fourre tout. Soyons francs, je n’apprécie pas non plus l’expression “leader d’opinion” qui implique une expertise que tous n’ont pas. Je leur préfère les tournures “leader de communauté” ou “créateur”, plus justes mais dont la deuxième est plus délicate à l’usage : un créateur n’est pas nécessairement un influenceur et vice versa : poster un selfie avec une jolie lumière ne fait pas de quelqu’un un “créateur”. Cette notion est pourtant essentielle, elle s’ancre dans une tendance macro que l’on nomme la “Passion Economy” : de plus en plus de particuliers veulent vivre de leur passion, soit en écrivant des posts via un Substack, en monétisant des cours ou autres et de fil en aiguille, qui sait, en devenant sacrément influents.
Les démarcations sont très poreuses entre ces deux mondes en passe de fusionner pour ne devenir qu’un. Des leaders de communautés donc et des créateurs… qui n’hésitent pas à délaisser les réseaux sociaux horizontaux pour mieux se verticaliser, afin de nouer des rapports plus intimes avec leurs audiences et mieux les monétiser, comme je l’évoquais précédemment. Voici un aperçu de cet écosystème créateurs / leaders d’opinions en voie de structuration. Le tableau, déjà impressionnant, est loin d’être exhaustif puisqu’il y manque des acteurs français toujours plus nombreux, Influence 4 you, la très réputée agence et plateforme d’influence marketing, pour ne citer qu’elle.
Source de l’infographie : https://influence.co/go/infographics/CreatorScape
🔮 Quel impact sur les stratégies des marques ?
Vous vous en doutez (sinon il n’y aurait pas de newsletter), tout cela va avoir un impact énorme sur les stratégies des marques et à plusieurs égards :
Ces leaders de communautés vont se montrer de plus en plus exigeants face aux marques puisqu’ils ne seront plus dépendants exclusivement de cette source financière. Avec un avantage évident : le “marketing d’influence” de bas étage devrait cesser, en tout cas substantivement diminuer. En effet, lorsque ces leaders d’opinions accepteront des dispositifs sponsorisés de marque, il faudra que ce soit dans une optique de “placement de valeur” plutôt que de “placement de produit”. Je ne vous apprends rien : voici venu le temps où le consommateur a besoin de confiance et de réassurance … et il n’ira pas les chercher auprès des marques mais auprès de ses pairs, ces leaders de communautés dans lesquels il aura placé sa confiance : il n’entend pas être déçu par leurs choix. Quality first ... D’autant qu’on va assister à la multiplication des collaborations entre ces leaders d’opinions, je l’expliquais déjà en 2017, qui vont offrir encore plus de créativité et de savoir-faire aux fans. Cela se matérialise déjà par des “Tik Tok Collaboration Houses”, véritables “dortoirs palatiaux où les jeunes stars de la plateforme vivent, travaillent et se bousculent pour étendre leurs empires de médias sociaux” ou sous forme de unbundling, quand des créateurs de newsletters Substack se regroupent pour offrir une seule souscription à leurs abonnés et l’accès à encore plus de contenus qualitatifs.
Les “créateurs” vont se multiplier à une vitesse vertigineuse, il faudra un véritable travail de fond pour les identifier, eux et les plateformes où ils opèrent : un jeu ? une messagerie ? un discord ? un slack ? un substack ? Si les marques ont déjà des salles de presse en ligne, à terme elles miseront sur des salles de “goodies digitaux” hautement émotionnels où les créateurs et autres influenceurs viendront se servir : gifs, stickers pour les messageries, filtres, contenus packagés pour une utilisation dans des jeux vidéos selon l’univers de la marque. Ainsi une enseigne de prêt-à-porter pourra proposer (voire même mettre en vente, c’est au demeurant le positionnement de plusieurs marques de niche qui viennent d’émerger) des vêtements virtuels pour des personnages de jeu vidéo. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Observons le message cité ci-dessous où une twittos explique que, pendant un instant de déprime, elle est tombée “par hasard” sur une note dans un jeu en ligne et que cette lecture lui a redonné goût à la vie ; on peut tout à fait imaginer produire des contenus inspirationnels packagés pour ces plateformes par des entreprises comme Headspace ou Calm, voire même des contenus pédagogiques distillés sous des formes micro sur ces plateformes. Bref, tout est possible.
Delphine, ma partner in crime, et moi-même sommes persuadées que les règles de communication et de contenus sont en train de drastiquement changer mais que de nombreuses marques ne sont pas encore prêtes, pas assez sensibilisées, mal accompagnées… ou dans le déni ? Pourtant le temps presse … Car ces créateurs sont aussi les médias de demain, des “médias de personnalité” qui essaimeront cette économie de la passion et de la créativité ; en conséquence, la stratégie doit s’accompagner d’un pivot des équipes marketing, comm’ et RP.
Il va falloir s’infiltrer dans ces communautés, via l’humain, via ses employés (une nouvelle émanation de l’employee advocacy ?), via des leaders de communauté “in-house”, des community managers +++ bientôt incontournables, à tel point qu’ils pourraient bien faire leur entrée dans les Comex. Oui, vous m’avez bien lue. L’avenir appartient à des marques communautaires fortes et cet asset intangible devient crucial.
Je concluerai en vous invitant à voyager… dans le jardin numérique magique de Rosie Sherry. Cette bâtisseuse de communautés opère actuellement chez Indie Hackers, mais ne cache pas son ambition future : monétiser son propre jardin numérique grâce à ses 1000 fans. Elle illustre ainsi la théorie d’engagement formalisée il y a plus de 10 ans par Kevin Kelly, l’éminent rédacteur en chef de Wired :
“Un créateur tel qu’un artiste, un musicien, un photographe, un artisan, un animateur, un designer, un showman, un vidéaste ou un auteur – en d’autres termes, quelqu’un qui produit un travail artistique – doit acquérir seulement 1000 vrais fans pour vivre de son art.“
Une réflexion récemment mise au goût du jour par Li Jin - l’experte absolue en matière de Passion Economy - selon laquelle, aujourd'hui, les créateurs peuvent gagner plus d'argent avec moins de followers ; il ne suffirait que de 100 vrais fans car le produit et l’approche sont différents comme l’illustre le schéma ci-dessous.
Explications : dans le premier cas, celui des 1000 fans, l’utilisateur est motivé par son altruisme pour soutenir le créateur. Dans le deuxième cas, il est propulsé par un intérêt d’ordre personnel, une volonté de progrès, de perfectionnement et/ou d’accès à un contenu exclusif. Un learning en continu, à l’heure où la durée d’une compétence technique se situerait aux alentours de 18 mois, où bien souvent le système éducatif peine à ajouter à son programme des nouveaux sujets aussi vite que nécessaire.
Je vous laisse donc méditer sur tout cela et j’ajoute quelques fragments de pensées de la rubrique “snippets” du jardin numérique de Rosie Sherry citée plus haut qui me parlent. Pour le reste, je laisse votre curiosité œuvrer …
À dimanche prochain. Et si vous n’êtes pas encore abonné, c’est par ici ⤵️
(Les éditions spéciales ne sont disponibles que par mail)
Marie Dollé
Twitter : @mariedolle | IG : @mariedolle
PS: Connaissez-vous Airparty ? Airparty est une communauté pour les solopreneurs, les créateurs et les slasheurs qui mènent plusieurs projets de front. Vous y trouverez des pairs ainsi que des ressources exclusives et indispensables pour cartonner dans la Passion Economy. Je fais partie de la communauté et c’est top ! Pour la rejoindre c’est par ici
Photo by Damir Kopezhanov on Unsplash