Hier, en me promenant à Murano, j'ai observé un maître verrier de 82 ans sculpter un cheval en 90 secondes. Initié à la canne à souffler dès l'âge de 11 ans, il a perfectionné son art au fil des décennies, jouant avec les chaleurs du verre en fusion. Son expertise, désormais intemporelle, est une passion qu'il poursuivra, sans aucun doute, jusqu'à son dernier souffle.
Cela montre à quel point la passion peut transcender les limites de l'âge. En vivant de ce qui nous anime, on ne travaille jamais vraiment... et donc, on ne s'arrête jamais ?
Une question qui prend tout son sens à l’heure où nous abordons une grande transition démographique. Entre 2020 et 2030, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus augmentera à l'échelle mondiale, passant de 1 milliard à 1,4 milliard. En France, au cours de cette décennie, la population des 75 à 84 ans connaîtra une hausse de 50%, passant de 4 millions à 6 millions.
Anticonformisme senior
Cette rapide augmentation de la population âgée, un phénomène que nous savons inévitable, est prête à bouleverser profondément notre société. Mais sommes-nous vraiment prêts à en mesurer toute l'ampleur ? Les seniors de demain, qui ont été bercés par les révolutions musicales des Beatles et des Rolling Stones — des icônes d’anticonformisme — sont loin de ressembler à ceux des générations précédentes et pourraient bien redéfinir ce que signifie vieillir.
Déjà, nous observons chez ces futurs seniors un style de vie qui défie les normes établies. Les 45 à 65 ans, surnommés 'Nold', diminutif de 'Never old' ou 'jamais vieux', rejettent les étiquettes traditionnelles de l'âge. Ces individus, mêlant énergie et sagesse ludique, adoptent un style de vie enrichissant qui remet en question les stéréotypes du vieillissement. En particulier, certains choisissent de redéfinir leur vie conjugale, contribuant ainsi au phénomène du 'grey divorce', où les individus de plus de 50 ans décident de se séparer pour poursuivre une vie plus épanouissante en solo. Cette énergie et cette volonté de rester actifs se manifestent également dans d'autres aspects de leur vie.
Considérons la retraite, souvent vue comme un repos mérité après une carrière éreintante. Cependant, la fatigue liée au travail peut avoir deux visages : elle peut tout aussi bien épuiser que galvaniser, selon la passion qu'on lui porte. Les individus qui cultivent un engouement pour leur travail, comme mon père, ancien diplomate qui continue à faire du consulting, ou mon gynécologue, qui à 70 ans déborde d'énergie, ne voient pas la retraite comme une fin, mais plutôt comme la continuation de leurs passions. Certes, pour certains, la carrière n'a pas été une source d'épanouissement, et la retraite se présente comme une délivrance de ces années subies. Néanmoins, même pour eux, il pourrait y avoir une passion inexplorée ou une seconde carrière à découvrir.
Silver economie : un âge d’or ?
Cela offrirait plusieurs avantages. D'abord, le travail apprécié contribue à la santé, un principe central des "blue zones". Ces régions du monde, où les gens vivent exceptionnellement longtemps et en bonne santé, mettent en avant l'importance d'un travail gratifiant et d'un but dans la vie pour le bien-être et la longévité. Adopter ces principes permettrait également de s’adapter à un phénomène en pleine expansion : le 'unretirement', ou la dé-retraite, qui désigne la tendance des seniors à retourner sur le marché du travail après avoir pris leur retraite.
Un exemple ? Au Japon, près de 40% des entreprises embauchent activement des personnes de plus de 70 ans. Cette démarche vise non seulement à pallier les pénuries de main-d'œuvre, mais également à booster la compétitivité des entreprises.
Et cet exemple n’est pas isolé. Aux États-Unis, nombreux sont les retraités qui envisagent de retourner travailler pour bénéficier d'interactions sociales accrues et combattre l'ennui. Ce retour au travail offre non seulement un filet de sécurité économique mais aussi une opportunité de maintenir une activité intellectuelle et sociale stimulante.
Selon une étude de McKinsey, la réintégration professionnelle des seniors pourrait représenter une opportunité économique de près de 6,2 trillions de dollars US.
Cultiver les passion-skills
Mais attention à ne pas céder à une approche purement capitaliste, dépourvue de sens et d’émotion. Ce sont avant tout les passion-skills, cette dimension émotionnelle profonde, qui méritent d'être mises en lumière. Elles possèdent le pouvoir de redéfinir le travail, le transformant en une activité qui transcende la simple tâche pour devenir une véritable vocation. Un travail qui n’est plus perçu comme une corvée, mais comme une passion en perpétuelle ébullition.
Un exemple concret ? Prenons le restaurant "Enoteca Maria" à New York, où des grand-mères venues du monde entier préparent des repas traditionnels de leurs pays respectifs. Ces femmes, bien qu'âgées, sont animées par leur amour pour la cuisine. Elles apportent non seulement des plats savoureux, mais aussi une chaleur humaine et une authenticité uniques.
Cette passion incarne l'essence même de l'humanité dans un monde aseptisé par l'IA. Malgré leur puissance et leur capacité impressionnante à apprendre, les machines demeurent limitées aux algorithmes et aux ensembles de données. Elles peuvent simuler et optimiser, mais elles ne peuvent pas ressentir cette flamme intérieure, celle qui parfois transcende la rationalité et anime un artisan lorsqu'il crée ou un artiste lorsqu'il peaufine son œuvre, tous deux poussés par un amour sincère pour leur art.
En valorisant ce feu intérieur, nous entretenons les braises d’une humanité prête à illuminer les générations futures. Car une vie menée par la passion est une vie qui ne s’éteint jamais.
MD
Attention tout de même au biais de classe. Tout le monde n'a pas eu la chance d'avoir eu un parent diplomate ou gynécologue. Certain·es seniors arrivent péniblement à la retraite complètement brisé·es par des emplois rudes, toutes passions éteintes. Quant aux retraité·es américain·es, certain·es n'ont tout simplement pas le choix de devoir continuer un travail sans passion car sans pension. Cette nuance apportée, je fais partie des gens qui pensent que "la retraite" est un concept suranné qui n'a de sens que pour les travailleurs et travailleuses qui arrivent épuisé·es en fin de carrière. La démarche qui me semble la plus intéressante c'est de plutôt "s'attaquer" à la pénibilité des emplois et aux les bullshit jobs.
Merci Marie,
A un an de cette fameuse retraite, cela ouvre la porte à des questions.
Mais aussi à assumer des choix d'orientation.
J'ai aimé cette lecture.