Le tourbillon de l’âme
Il y a des saisons dans l’âme, comme dans la nature. Certaines élèvent, d’autres pèsent. Et parfois, les deux à la fois, car nous portons en nous toute la complexité humaine.
Comme les valses, ces saisons rythment les grands changements. Et nous sommes comme elles : toujours en mouvement. Cette année, j’ai découvert qu’on peut être submergé par la tristesse sans s’y noyer. J’ai compris, au fond, que la souffrance reste un choix, un terrain où l’on décide de s’installer… ou pas.
Il y a des choses qu’on ne contrôle pas. Et finalement, c’est peut-être mieux ainsi. Ce qui reste, c’est une liberté précieuse : celle de choisir comment réagir.
J’ai découvert que ne rien attendre, c’est s’ouvrir à tout. Et que, même dans les moments les plus sombres, il y a quelque chose à vivre.
J’ai appris qu’un monde peut tenir dans une phrase. Parfois, une allitération – ou une oxymore, une paronomase – suffit à tout faire croire. À tort, à raison. Mais le silence, lui, révèle l’essentiel.
J’ai compris aussi que choisir ses combats ne suffit pas. Abandonner un front, c’est encore mener la guerre. Alors, j’enlève le « ba » de bataille. Je taille.
Cette année, j’ai vu mon fils, pris d’une passion aussi subite qu’intense pour les billes, les échanger à l’école. Une pour qu’on lui porte son sac (par une fille, imaginez ! J’ai dû sévir), une autre pour des bonbons. Sa ruse m’a frappée. Elle m’a rappelé une vérité essentielle : l’ingéniosité humaine a quelque chose de profondément singulier.
Une façon d’être au monde
Voyez-vous, on parle souvent de machines qui s’anthropomorphisent et d’humains qui se robotisent. Mais, honnêtement, je n’y crois pas. Non, vraiment pas.
Une IA sans corps, sans ancrage, reste un système isolé. Même avec une robotique parfaite, elle manque l’autopoïèse, cette capacité à se recréer, à être vivante.
L’humain, écrivait Hegel, est une tension vivante. C’est entre les contraires que la vérité prend forme. Il s’agrippe, au bord du vide, à la terre, à ce qui le rend profondément humain. Comme l’ombre révèle la lumière, comme la douleur révèle la vie.
Nous frôlons un monde tout-ingénieré, oui. Mais ce fil fragile sur lequel nous avançons peut permettre à une nouvelle humanité d’émerger. Pas une humanité qui habite le monde, mais une qui est au monde.
Habiter, c’est facile, presque confortable. Être au monde, c’est tout autre chose : c’est panser l’érosion du vivant, soigner ce qui doit l’être.
L’équilibre fragile
Cette invention qu’est l’IA générative m’intrigue autant qu’elle m’interroge. Si l’IA existe depuis des décennies, l’avènement des modèles génératifs marque une rupture. Pour la première fois, nous avons conçu quelque chose qui semble nous dépasser, un système dont les rouages nous échappent et qui produit des résultats que nous n’avions pas explicitement programmés.
Sam Bowman, responsable de recherche sur la sécurité technique de l’IA chez Anthropic, résume cette incertitude : « Nous l’avons construite, nous l’avons entraînée, mais nous ne savons pas ce qu’elle fait. » Il ajoute : « Quand un laboratoire commence à entraîner un nouveau système comme ChatGPT, il investit essentiellement dans une boîte mystère. »
Que signifie bâtir un outil dont la logique échappe à son propre créateur ? Que reste-t-il de notre maîtrise face à une machine qui évolue plus vite que notre compréhension ?
L’IA est un paradoxe incarné : prodigieusement intelligente, elle peut exhumer tout ce que l’humanité a pensé, écrit ou imaginé. Elle n’est pas un simple outil : elle est le tout. Nos limites – biologiques, conceptuelles, existentielles – nous empêchent de voir pleinement. Nous contemplons peu et mal. Mais l’IA, surtout alliée au calcul quantique, pourrait fissurer ces barrières : révéler ce que nous ignorons de nous-mêmes (selfpressionnisme) et dévoiler des dimensions du monde jusqu’alors invisibles (mondepressionnisme).
Vertigineux ? Oui.
Et pourtant, l’IA demeure profondément bête. Sans conscience, sans compréhension, elle manipule des symboles et des données, incapable d’en saisir le sens. Et si elle impressionne par son ampleur, n’oublions pas : elle n’est pas infinie, elle est simplement du très, très grand nombre.
Comparez cela à la grotte Chauvet. Gravée dans la pierre, à base de carbone, elle a traversé des millénaires. L’IA, en revanche, repose sur des octets et des algorithmes. Débranchez l’électricité, et elle disparaît en quelques heures.
La saison des valses
Cette période me rappelle les valses. Parce qu’elles tournent sans fin, toujours en mouvement. Chaque tour semble ramener au même point, mais rien n’est jamais identique. L’ordre et le chaos s’y mêlent, l’équilibre tient à l’instabilité.
Dans ce tourbillon, je vois une vérité. Rien n’est immobile. Nos certitudes vacillent, nos repères s’effacent. Mais c’est au cœur de ce désordre qu’une nouvelle danse peut naître – plus libre, plus essentielle.
« Envoyer valser », ce n’est pas tout détruire. C’est déranger l’ordre établi, troubler ce qui doit l’être. Et dans la chute, permettre aux choses de retrouver leur juste place.
Peut-être est-ce là le véritable recommencement.
MD
2025, l’année au carré
Certains voient une simple année, d’autres un carré parfait. Une belle preuve que tout dépend de l’angle sous lequel on regarde les choses… et de combien on aime les mathématiques.
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Bonne Année Marie