Le Futur des Futurs
Anticiper demain, démystifier la hype, rendre le chaos ambiant un peu plus intelligible… Face à un monde en crise, l’industrie du futur fait son big bang. Décryptage.
Les médias à l’assaut de demain
1,2 million, soit le nombre de fois où le terme “trends” a été recherché sur Google en mai 2022, le double d’il y a cinq ans. Qu’on se le dise : la tendance c’est tendance ! Dans un monde d’infobésité où une information en chasse une autre, où l’incertitude est devenue un phénomène, être capable de déceler de quoi demain sera fait est devenu LA discussion à la une.
Aux agences et cabinets de consulting spécialisés en tendances - je pense notamment à WGSN, Future Laboratory, Peclers, NellyRodi, Mintel ou encore Stylus & Co. - s’ajoute désormais une offre média renouvelée faisant office d’oracle culturel mainstream. Chez Usbek et Rica, le média français qui explore le futur, le parti-pris est de “faire de l’étonnement philosophique une nouvelle approche journalistique, de préférer aux vertus de la morale celles de l’émerveillement”. De l’autre côté de l’Atlantique, même si l’offre spécialisée se multiplie, il est intéressant de noter que ce sont en premier lieu les grands médias qui se sont appropriés le sujet sous un prisme holistique et transdisciplinaire très à propos. En 2015, le Wall Street Journal donnait ainsi le coup d’envoi de la franchise “The Future of Everything”, une plateforme dédiée aux contenus prospectifs plurimédia (magazine, podcast, festival, etc.) qui explore la manière dont la science, la technologie et l'innovation modifient notre quotidien. En 2019, le toujours à l'affût New York Times lançait quant à lui “Op-Eds From the Future” où des auteurs de science-fiction, des futuristes, des philosophes et des scientifiques imaginent les éditoriaux que l’on pourrait lire dans 10, 20 ou même 100 ans.
Depuis, tout s'accélère vitesse crescendo. En début d’année, le média américain Axios inaugurait sa newsletter “What’s Next” assortie d’un événement dédié, tandis que Vogue Business lançait un suivi des tendances TikTok appuyé par des données exclusives issues d’un partenariat avec le réseau social. L’idée ? Mettre en lumière les créateurs émergents et les grandes tendances impulsées par la GenZ. Et ces quelques exemples ne constituent qu’un avant-goût de l’offre pléthorique qui se dessine, parfois mâtinée d’accents hollywoodiens : fruit d’une collaboration entre Netflix et The Verge, la docu-série “The Future Of” a ainsi fait son apparition dans le catalogue du géant du streaming il y a quelques semaines… Mention également pour le Musée du Futur de Dubaï - inauguré en février - qui entend “voyager à travers les futurs possibles et ramener l'espoir et la connaissance dans le présent”.
La tendance pour informer la stratégie
Il faut dire que dans le contexte ambiant de permacrise, explorer les visions d’avenir qui transcendent les incertitudes anxiogènes est devenu un enjeu capital, en particulier pour les entreprises. Mais encore faut-il pouvoir garantir la pertinence des projections et, surtout, leur actionnabilité pour nourrir des stratégies.
Comme l’explique très judicieusement Matt Klein, Trend Lead chez Reddit et auteur de la newsletter Zine, “en étant submergés de données, nous pensons avoir plus de possibilités de relier les points et d'identifier les tendances. Mais sans cadre ou capacité à différencier le vrai signal versus le bruit, nous devenons des conspirateurs qui cuisinent des choses insignifiantes et éphémères (...) Il ne suffit pas de brosser un tableau du zeitgeist. Les analystes, les consultants et les prestataires de services doivent aider leurs clients à décoder les moteurs, les opportunités et les menaces d'une tendance, puis à élaborer des stratégies.” Un point de vue partagé par David Mattin : selon l’expert en tendances et ancien directeur conseil de Trendwatching, la pandémie a accéléré la prise de conscience, au sein de nombreuses organisations, de la nécessité d'une certaine forme de réflexion structurée autour de l'avenir. “Il y a un changement nécessaire qui s'éloigne des tendances tactiques pour se diriger vers la pensée stratégique et la transformation des organisations et des systèmes. Il est également nécessaire de trouver des moyens nouveaux et plus rigoureux de combiner les données quantitatives et qualitatives avec la réflexion sur l'avenir", explique-t-il.
Renforcer le cadre méthodologique
De la rigueur certes, et surtout de la transparence. Comme le soulignent Adrien Cadiot et Elodie Marteau du Bureau Indépendant de prospective 2sight, “avant, la manière de travailler reposait davantage sur une démarche de projet artistique où l'intuition et le style prédominaient les recommandations et scénarios prospectifs. Du moins, jusqu’aux pratiques définies par Sam Cole d'envisioning, polling et forecasting”. Mais aujourd’hui, le cadre à redéfinir profite d'une opportunité qui n'existait quasiment pas par le passé. “La confidentialité du secteur qui faisait avant son heure de gloire est aujourd'hui moins présente, analysent-ils. Avec davantage d'acteurs sur le marché des tendances, la compétition a également entraîné le partage pour une nouvelle génération de pratiquants ayant l'habitude de mettre en commun et estimant la valeur de transparence”.
Et cela se vérifie déjà. Le design fiction - qui consiste à imaginer le futur d’une entreprise à travers différents scénarios personnifiés - se développe et les experts se l’approprient désormais avec leur propre sensibilité. Le collectif Near Future Laboratory lui consacre par exemple un podcast, une newsletter, et prochainement un livre. Quant à l’agence française de conseil en innovation 15 Marches, elle détaille et documente régulièrement sa méthodologie dans des newsletters hebdomadaires. Retenez toutefois que le design fiction n’a pas le monopole des stratégies du futur : le programme NGFP - qui se positionne comme un accélérateur de leadership en matière de prospective pour les praticiens du foresight - a ainsi lancé un appel afin d’identifier, soutenir et amplifier d’autres méthodologies de prospective.
Il s’agit également, au sens large, de développer une pensée disruptive à l’épreuve du temps. En pleine crise du Covid, Jeremy Gutsche, fondateur de Trend Hunter, a publié “Create the Future”, un manuel de l’innovation qui recense son framework et ses tactiques pour une pensée hors des sentiers battus. Bob Johansen, ex-président du centre de recherches américain Institute for the Future, a pour sa part sorti un ouvrage consacré à ce qu’il appelle le “Full-spectrum thinking”, soit "la capacité à rechercher des modèles et de la clarté en dehors, à travers, au-delà, ou peut-être même sans aucune boîte ou catégorie, tout en résistant aux fausses certitudes et aux choix binaires simplistes". Une pensée qui, en somme, cultive la capacité à remarquer quelque chose d’inédit, à reconsidérer quelque chose que l’on pensait acquis, à faire différemment. Le soft skill de demain par excellence ?
La puissance du collectif
Prudence toutefois puisque ces nouveaux schémas ne peuvent s’imaginer dans le silo d’une personne ou d’une entreprise. Car si de plus en plus de sociétés vont embaucher des cultural analysts (ndlr. un terme qui tend à se développer, plus représentatif que “futuriste” ou “prospectiviste”) pour mieux aligner leur mission/vision/objectifs internes avec les cultures auxquelles elles veulent s'aligner, cela n’est pas sans danger. Comme le rappelle Matt Klein, “une stratégie culturelle efficace doit considérer l'horizontal. Par conséquent, si vous occupez un poste interne, votre travail ne peut pas être cloisonné. Vous devez conserver la liberté d'explorer en dehors de votre verticalité. C'est de là que naissent l'inspiration et la disruption”.
Pour autant, cela n’empêche pas le développement d’offres de tendances plus spécialisées à l’image d’Ultra Violet, une agence de prospective spécialisée dans le domaine de la FemTech. Ici, les niches se nourrissent de la force du collectif. Comme l’explique Stefania Simon-Sasyk, fondatrice de Mycelium, un réseau d'innovation dans le domaine de la gastronomie, “nous assistons à l'essor de la transdisciplinarité”, autrement dit “un franchissement des frontières pour créer un cadre holistique permettant de regarder la complexité en face”.
Une réalité bien comprise par le fonds d’investissement a16z qui a lancé l’année dernière son média collaboratif “Future” destiné à donner la parole aux entrepreneurs, investisseurs et prospectivistes aguerris. Reste qu'à l'heure de la creator economy et du Web3, d’autres collectifs de prospective émergent pour redonner de la valeur à l’insight et à son créateur. Keely Galgano et Katie Drake, deux consultantes en innovation, ont par exemple contribué à la création de ces DAO de la veille et de la prospective, à l’image de @Radarxyz qui permet de trouver une communauté, voire de “posséder” ses idées par le biais de la tokenisation et de la mécanique Web3.
Un phénomène explicité une nouvelle fois par Adrien Cadiot et Elodie Marteau pour qui “la tokenisation permet de redonner une valeur à la production de méthodes et de scénarios prospectifs, même si des NFTs de schémas (ndlr. Une référence aux NFTs de l’ancien collectif K-hole qui a transformé en NFT son célèbre schéma décrivant le normcore) ne sont que symboliques, ces symboles sont nécessaires et ne se limiteront pas au format de token non-fongible. Donner de la valeur à ce que l'on détecte est bien précieux”.
Assurément, la valeur n'attend point le nombre des années. Encore moins en matière de prospective.
Marie
J’ai eu le plaisir d’intervenir aux côtés de Basile Laigre dans le podcast Silicon Carne de Carlos Diaz. Le sujet ? Le Futur de la Food. Et si vous souhaitez aller encore plus loin, je vous invite à vous abonner à la newsletter de Chefclub qui décrypte toutes les tendances du secteur.
Autre newsletter que je vous recommande : celle de l’agence 2sight, et en particulier son premier numéro consacré au Lunar Marketing.
Gubns: une marketplace d’objets bizarres fabriqués à la main par des architectes du monde entier.
Ce tweet 🤣
Bonjour,
Merci pour ce tour d'horizon de l'évolution du métier de prospectiviste.
Futuribles (https://www.futuribles.com/fr/qui-sommes-nous/) fait figure de pilier, ses ateliers permettent d'élaborer les scénarios envisagés par des organismes de recherche et acteurs institutionnels (Ademe par exemple).
Et SoScience propose de la con-construction en s'appuyant sur les ressources de la recherche, via son initiative The Future Of (https://www.soscience.org/plateforme-open-innovation/).