Depuis que l’homme a cessé de courir après sa nourriture, il s’est mis à courir… tout court.
Le phénomène vous le connaissez : la sédentarisation, arrivée par vagues successives. On a cultivé la terre, bâti des villes, inventé des métiers immobiles. Puis sont venus les bureaux, les écrans. Chaque progrès a réduit nos mouvements. Le corps s’est mis en veille.
Alors on a développé le sport. En plein air, dans des salles bien rangées, bien normées. Souvent, on fait du sport comme on coche une case : entre deux réunions, dans un créneau du planning, cardio le mardi, abdos-fessiers le jeudi. Mais parfois, c’est l’inconscient qui parle. C’est là qu'on voit se démocratiser des pratiques comme l’Animal Flow, la marche afghane, la grimpe nue, la course pieds nus…
On réinvente des gestes oubliés, on copie les chasseurs-cueilleurs. On explore un corps plus brut, plus instinctif, plus libre. On ne veut plus simplement s’entraîner, on veut reconnecter.
C’est dans ce contexte déjà un peu schizophrène - ou, plus justement, profondément ambivalent, comme dirait Freud - qu’un nouveau glissement s’opère. Après le corps, c’est l’esprit qui menace à son tour de se sédentariser. Pas chez tous, heureusement. Mais à l’échelle d’une société, le phénomène est palpable.
Plus besoin de retenir : tout est dans le cloud. Plus besoin de chercher ou faire : l’IA propose. Petit à petit, on délègue. On déleste. Et, sans vraiment s’en rendre compte, on débranche.
Sur les réseaux, on en rigole …
Alors, que va-t-il se passer ? À mon avis, on suivra un schéma en deux temps.
La première étape rappellera ce qui s’est passé avec le sport physique : face au déclin progressif de l’activité mentale nous chercherons à compenser. Par des jeux. Des exercices. Des défis cognitifs. En somme, une nouvelle forme de sport de l’esprit.
Il y aura du business à faire. Certaines start-ups occupent déjà le terrain des jeux mentaux, comme Luminosity, qui dépasse les 10 millions de téléchargements sur Google Play. D’autres inventeront leurs propres formats, leurs propres usages.
Cette dynamique croisera d’ailleurs une autre tendance de fond : le vieillissement de la population. Face au risque de déclin cognitif, la performance mentale devient une nouvelle obsession. Même l’alimentation s’y met, comme en témoigne Honey Brains, une enseigne américaine où l’on sert des plats pensés pour le cerveau. Le mental devient marché.
Alors ? On verra peut-être émerger les bodybuildés du cerveau, rodés aux apps et aux défis mentaux. Mais il y a fort à parier qu’ils passeront à côté de l’essentiel.
Car penser, ce n’est pas seulement optimiser ses capacités mentales. Ce n’est pas empiler des données ou résoudre des problèmes de plus en plus vite. C’est comprendre où l’on est, avec qui, et pourquoi. C’est relier les faits, les émotions, les intentions. C’est se penser soi-même dans un monde habité par d’autres consciences.
Tout ce que les algorithmes, si puissants soient-ils, ne savent ni percevoir ni incarner. Et qui, pourtant, reste le cœur de ce que nous appelons encore notre humanité.
Et comme toujours, un nouveau retournement s’annonce.
C’est ainsi que très vite, selon moi, viendra la deuxième vague. Plus souterraine. Plus profonde. Car, comme pour le corps, l’inconscient finira par se manifester.
Pas juste le besoin de penser, mais celui de ressentir, rêver, symboliser. On ne voudra plus seulement activer le cerveau, mais le libérer. Redonner une place à l’intuition, à l’imaginaire. On verra émerger des pratiques mentales plus brutes, plus viscérales.
Vous l’aurez compris, ce n’est pas une simple évolution technique que je vois venir.
Alors non. Je ne vous souhaite pas un esprit affûté comme un logiciel, ni une mémoire surentraînée à coups d’exercices.
Je vous souhaite autre chose : de vous reconnecter à ce que la machine n’aura jamais.
Cette zone indéfinissable entre rêve, intuition et présence. Ce feu discret mais vivant qui fait qu’un mot peut bouleverser, qu’un lieu peut vibrer, qu’une idée peut prendre feu sans raison logique.
Ce n’est pas de la magie. C’est ce qu’on appelait autrefois le sacré, ce que les Romains nommaient numen.
Aujourd’hui, on dirait peut-être simplement : le vivant.
Et c’est peut-être ça, le vrai luxe de demain.
MD
Tiens @virginievillevieille, ça rejoint notre discussion de l'autre jour sur l'intuition...