L'Illisibilité : atout ou mal du siècle ?

De la politique à l’algospeak.

La semaine dernière, un véritable séisme a secoué la scène politique : le président Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale. Cette décision, interprétée comme une réaction directe à la défaite de la majorité présidentielle lors des élections européennes de 2024, a pris de court la plupart des observateurs et bouleversé l'agenda politique avec des élections législatives imminentes. 

Malgré un désaveu électoral et une position de faiblesse, le président Macron a utilisé l'illisibilité stratégique pour reprendre le contrôle du narratif, déstabiliser ses adversaires et démontrer une flexibilité tactique impressionnante. En provoquant des élections anticipées, il a forcé ses opposants à se réorganiser en urgence, créant un contexte où ils doivent rapidement proposer des alternatives cohérentes. Cette manœuvre audacieuse, bien que potentiellement très dangereuse, a non seulement désorienté ses rivaux, mais aussi redonné une forme de panache. Comme l'a souligné l'expert en communication Olivier Cimelière, "La communication politique, c’est un coup de comm, on ne cherche pas la cohérence." Mitterrand, reprenant le cardinal de Retz, aurait dit : "On ne sort de l'ambiguïté qu'à son propre détriment."

Dans ce cas, il est clair que l’illisibilité, souvent perçue comme une faiblesse, peut en réalité se révéler être une force. Et cela ne concerne pas seulement la politique. Il est reconnu que les avocats, dans le cadre de leurs stratégies de défense, peuvent utiliser des tactiques perturbatrices, souvent appelées incidents de procédure, pour déstabiliser le contradicteur. Le philosophe Antonio Damasio soutient que nos décisions sont souvent influencées par des facteurs non rationnels, tels que les émotions, les intuitions et les préjugés. Ainsi, l'illisibilité peut exploiter ces zones grises de l'esprit humain en rendant les intentions et les actions moins claires. De même, en littérature, l'illisibilité n'est pas simplement un obstacle mais un langage à part entière, une tradition de cryptage où les significations profondes se révèlent à ceux qui s'engagent activement dans l'acte de déchiffrement.

L’illisibilité occupe, d’ailleurs, une place centrale dans une société de plus en plus normée, codifiée et surveillée. Jugez plutôt : des mouvements culturels comme l'algospeak où les gens utilisent un langage créatif et parfois crypté pour échapper à la modération et au suivi des plateformes en ligne ; des vêtements intelligents conçus pour obstruer la reconnaissance faciale grâce à des motifs perturbant les systèmes d'IA ; des dispositifs de brouillage qui empêchent le suivi GPS en interférant avec les signaux ; ou encore, l'utilisation de cônes de signalisation pour perturber les capteurs et immobiliser les voitures autonomes, comme l'ont fait des manifestants à San Francisco.

Alors, l’illisibilité est-elle une compétence précieuse ou simplement le reflet d'une époque troublée ? N'est-elle pas, en fin de compte, la clé de notre authenticité ? Opter pour l’illisibilité, c’est revendiquer notre droit à la complexité, à l’inconnu, et à l’invisible... ou au visible comme le démontre Macron. C'est une double face de la même stratégie. Cela rappelle que, malgré toutes les tentatives de nous réduire à des données lisibles et contrôlables, nous restons fondamentalement indéchiffrables, mystérieux, humains. Mais prudence, car l'illisibilité, qu'elle soit cultivée délibérément ou adoptée par nécessité, montre que dans le jeu complexe de la société moderne, le fil entre la marionnette et le marionnettiste est fin.

MD