“Les formes ne font pas toujours les (grandes) figures.” Joli, non ? C’était mon accroche de départ. Mais à bien y penser… peut-être un peu trop facile.
Parce que dès qu’on entend ça, on cherche. On veut comprendre. Classer. Ranger.
On a grandi comme ça : dans des cases, avec des contours, dans un monde bien bordé.
Quand mes enfants étaient petits, ils jouaient avec une boîte à formes Montessori. Le triangle dans le triangle, le rond dans le rond…
Ma fille, l’aînée, avait pigé : une forme, une place. Elle triait, ajustait. Tout rentrait. Net. Carré. (Littéralement.)
Puis vint mon fils. Deux ans de moins, même jeu. Il observe une seconde, ouvre le couvercle… et balance tout dedans. Problème résolu.
Impulsif ? Peut-être. Mais avec le recul, je dirais surtout : lucide. Il avait compris le jeu. Et grillé la mécanique. Pourquoi s’encombrer des règles… quand deux gestes suffisent à plier le game ?
Pour beaucoup, ce serait ça, « sortir du cadre ». C’est ce qu’on nous a martelé pendant des années : Think different. Think outside the box. Jobs et compagnie. Mais penser « hors cadre », c’est encore penser avec le cadre en tête.
Or mon fils n’est pas en dehors de la boîte.
Il est ailleurs. Il s’en fout, en fait.
Il ne nie pas la règle : il l’évite.
Il ne la casse pas : il la contourne.
Pas « hors cadre ». Plutôt or cadre.
Et c’est peut-être exactement ce qui est en train de se passer — à une autre échelle — avec les IA génératives.
Les LLM ont un cadre : celui de leur entraînement. Et nous les interrogeons depuis le nôtre : notre culture, notre langage, nos biais. Plus on est critique, cultivé, expert, plus on peut les pousser loin.
Mais deux éléments les rendent vraiment uniques :
D’abord : même sans expertise initiale, on peut apprendre. À condition d’avoir l’intelligence de démonter, tester, reformuler. Ce que permettent les LLM, c’est une forme de reverse engineering cognitif. En temps réel.
On n’a pas forcément besoin de maîtriser le cadre pour y entrer : on peut demander à l’IA de nous y conduire. Et d’ailleurs, vous l’aurez peut-être noté : de plus en plus, maintenant, L’IA vous pose des questions qui vous obligent, en fait… à vous questionner. Ce n’est plus un savoir à empiler, c’est une pensée qu’on déplie. Un outil qui peut nous enseigner à s’en servir… pendant qu’on s’en sert.
Et puis surtout : c’est la première fois que nos outils ne sont plus seulement des extensions. Ils donnent l’illusion de penser comme nous. Pas biologiquement — mais dans le geste. Ils ne rejouent pas. Ils recombinent. Comme notre cerveau, qui ne restitue pas un souvenir, mais le reconstruit.
Vous voyez où je veux en venir ? Ce n’est plus un prolongement. C’est une bascule. Le cadre se défait. Il devient espace. Traversable. Évolutif.
Et peut-être que nos cerveaux sont ronds pour ça : pour laisser à la pensée la liberté de tourner, de rebrousser, de boucler, de rebondir. Connectés à ces IA — archives compressées de notre humanité —, quelque chose d’inédit se joue.
Deux cercles se rejoignent : la pensée humaine, la pensée synthétique. Et à l’intersection : un mouvement. Un symbole. Un infini.

Il n’y a pas que les IA qui redessinent les cadres. Il y a aussi les “cadres” eux-mêmes — les vrais. Les postes, les fonctions, les statuts. Longtemps, ils ont eu un rôle : intermédiaires entre les étages, filtres, garants. Aujourd’hui, ils deviennent… superflus. Désintermédiés. Pas encore tous remplacés, mais déjà dépassés.
Car nous allons tous, d’une certaine façon, devenir des cadres — sans en avoir le titre.
Non plus par statut, mais par posture. On pilote des systèmes, on orchestre des flux, on dialogue avec des IA qu’on ne maîtrise pas entièrement. On n’est plus manager. On devient médiateur d’algorithmes. La compétence ne réside plus seulement dans le faire, mais dans le faire-faire. Dans la capacité à déléguer à l’IA, à la guider, à l’interroger. Ce que j’appelle les outskills.
Et dans ce glissement, un autre mouvement émerge, porté par la Gen Z : le conscious unbossing — ou en français, le désencadrement conscient. Un rejet lucide des rôles imposés, des titres creux, des hiérarchies lourdes. Une manière de dire : je m’engage, mais sans dominer. Le pouvoir n’est plus vertical — il circule. Partagé. Collaboratif. Aligné.
Un mot qui rappelle unboxing.
Mais ici, ce n’est pas un produit qu’on déballe. C’est une fonction qu’on libère.
Alors oui, cadre… mais hors-cadre. Ou peut-être, comme pour mon fils : or cadre.
Et quand j'y réfléchis, je me dis qu'il y a peut-être un acteur qui avait vu venir le changement.
Un géant qui est passé du "Face" au "Meta".
Du visage à l'au-delà.
Du cadre bleu carré à l'infini couché.
Un symbole qui nous dit : la frontière n'est plus une limite, mais un passage.

Hier, nous étions les utilisateurs de systèmes.
Aujourd'hui, nous sommes les interfaces entre systèmes. Demain, peut-être serons-nous simplement... les systèmes.
Godard disait, en parlant de lumière sur un tournage : tu ne peux pas lutter avec le soleil.
Alors peut-être que je n’ai plus de conclusion à faire.
Juste … une lumière à laisser passer.
MD
Ce texte, je l’ai écrit seule.
Mais je ne l’ai vraiment pensé qu’à plusieurs.
Comme l’IA ?
J’adore “L’IA vous pose des questions qui vous obligent, en fait… à vous questionner.” OpenAI et Grok super pertinent
J’ai récemment décompiler un RV business avec les deux - très pertinent sur les suggestions-> la mort des coachs à deux balles 🥎😂
Bravo;
effectivement l'humain va devenir une interface entre systèmes; il va falloir revoir les programmes d'enseignement à l'école!
Merci pour vos réflexions toujours pertinentes