Ras-le-bol des 1001 guides, tutos, méthodes "ultimes" pour apprendre à prompter comme un pro. Ce n’est plus de l’apprentissage, c’est du dressage. C’est ça, l’ambition ? Fignoler la syntaxe… au lieu d’aiguiser sa pensée ?
Et puis, récemment, je suis tombée sur une présentation de Sari Azout, VC US, fondatrice de l’app Sublime, et l’une des 50 voix tech les plus influentes sur Substack.
Une slide, en particulier, a retenu mon attention. Celle-ci :
Le fond est solide. Et elle dit, en creux, deux choses :
La première : garbage in, garbage out. Plus c’est creux à l’entrée, plus c’est vide à la sortie. La seconde : plus on a d’expertise, mieux on prompte. Et j’ajouterais ceci : on jauge aussi mieux si l’output vaut quelque chose.
Jusque-là, difficile de contester. Vous me suivez.
Mais quelque chose me désole dans cette vision : c’est l’idée d’une toute-puissance de l’expertise.
Oui, l’expertise est précieuse. Mais parfois elle a un défaut : elle fige. On croit savoir. Alors on cesse de chercher.
Le deuxième prompt est brillant, oui. Mais c’est du savoir. Du contrôle. Une cage, bien conçue, mais une cage tout de même.
Et là, je m’interroge : à l’ère des intelligences artificielles, la question n’est peut-être plus "comment devenir plus intelligents ?", mais plutôt : "comment rester vivants, lucides, pensants ?"
Peut-être faut-il alors redéfinir ce que nous appelons intelligence humaine. Non pas comme une accumulation de savoirs, mais comme une capacité d’adaptation, de discernement, une forme de lucidité active. Comme le disait Jean Piaget : « L’intelligence, ce n’est pas ce que l’on sait, c’est ce qu’on fait quand on ne sait pas. »
Ce n’est pas une idée neuve. En 1985 déjà, cette caricature parue dans 01Informatique Hebdo pointait le risque, avec humour : celui d’une dépendance à la machine telle qu’on en oublierait même ce qu’on cherchait. Le titre, « À quand la 5e ? », faisait référence aux langages de cinquième génération, censés rendre les ordinateurs capables de raisonner.
Trente ans plus tard, la question reste intacte. Mais elle change d’échelle.
Ce qu’on tournait en dérision hier est devenu banal : on délègue, on automatise, on s’en remet. Mais à ce stade, peut-on encore parler d’intelligence ?
Les anglophones font la différence entre intelligent et wise.
En français, il n’y a pas d’équivalent exact. Mais le mot qui s’en approche le plus, c’est sans doute “sage”. Être sage, ce n’est pas savoir plus, c’est savoir mieux. C’est garder une pensée vivante, curieuse, capable de penser contre elle-même, parfois. Une pensée qui ne cherche pas à dominer la machine, mais à rester libre face à elle.
Alors cette slide, je la lis autrement. Pas comme une opposition entre naïveté et maîtrise. Mais comme une invitation à autre chose. Moi, je l’appelle : la curiosité. Celle de l’enfant qui demande “pourquoi ?” encore et encore. Celle qui s’émerveille autant qu’elle creuse.
Je n’ai pas pu tout copier ici, mais vous voyez l’idée. Ce n’est pas un prompt figé, c’est une démarche. Je questionne, je teste, je reformule. L’IA répond, j’ajuste, je relance.
À la fin, je demande un récap des points clés, puis je pousse un cran plus loin : avons-nous oublié un point essentiel, d’après toi ?
Le vrai prompt - dialogue, sert à structurer sa pensée, son raisonnement. Pas à accepter une réponse toute faite, forcément molle.
Bref, je n’exécute pas. J’apprends. Pas sur la machine. Sur moi. Sur ce que je cherche vraiment. Ce type de prompting n’a rien d’automatique : c’est une pensée en mouvement, un espace critique. J’avance par hypothèses. Je confronte mes angles morts. C’est de la curiosité active. Exigeante. Vivante.
Donc si je devais résumer :
Prompter, c’est demander quelque chose.
Bien prompter, c’est chercher à l’obtenir au plus juste.
Mais l’art du prompt, c’est autre chose, c’est interroger ce qu’on formule. Comprendre ce qu’on cherche. Et apprendre en le faisant.
Alors non, je ne veux pas juste apprendre à mieux parler à la machine. Et je ne veux surtout pas lui ressembler. Je veux que chaque échange me rende un peu plus libre. Un peu plus lucide. Pas pour produire plus. Mais pour penser mieux.
C’est peut-être ça, au fond, le vrai prompt : apprendre à poser la bonne question qui vous transforme en cherchant sa réponse.
MD
Oh que je suis d'accord ! 🙏
Et je dis cela après un long échange avec Claude (sur plusieurs sujets d'une newsletter), qui ne m'a pas donné "une réponse" mais une série de questions pour réfléchir aux problèmes posés, ce qui me convient parfaitement !
J'adore aussi "discuter" avec l'IA pour tester expérimenter etc. Mais le coût écologique de chaque demande me glace le sang à chaque fois. Est-ce qu'on sait si certains prompts "coûtent" plus que d'autres ?