Social Commerce en Occident : où est passé le “social” ?
Vous ne me contredirez pas : les fonctionnalités e-commerce sur Facebook et consort se développent à une allure vertigineuse. Question : est-ce suffisant pour asseoir leur leadership ?
iPhone screenshots Popshop Live
Social Commerce ou Commerce social ?
Posons-nous une question toute simple (mais finalement pas tant que ça) : quelle est la définition du social commerce ? Certains vous diront que le social commerce est “l'acte de vendre des produits directement par l'intermédiaire de plateformes social media, que ce soit par des messages, des vidéos, des commentaires, des forums ou tout autre moyen.” Ils ajoutent que “la principale différence entre le marketing social media et le commerce social est que dans le second cas, vous vendez activement sur la plateforme elle-même, au lieu de diriger le trafic de référencement des médias sociaux vers un site web.”
Poussons le raisonnement jusqu’au bout : les très nombreuses fonctionnalités annoncées par Facebook, Instagram et Pinterest (je mentionnerai le cas de Snapchat après, car il est pour moi distinctif) devraient ancrer fortement les plateformes traditionnelles dans le background du social commerce occidental. Jugez-en par vous-même :
En avril dernier, Pinterest a dévoilé une batterie de nouveaux modes d’exploration et d’acquisition : achat depuis les recherches (”Shop from search”), depuis un tableau (“Shop from a board”), depuis une épingle (“Shop from Pins”) ou encore les styles guides. La plateforme a également annoncé son partenariat avec Shopify, dont les commerçants pourront télécharger leurs catalogues afin de transformer leurs articles en épingles à produits commercialisables.
Facebook et Instagram lancent les Shops, qui permettent de naviguer et d'acheter des produits directement depuis la page Facebook ou le profil Instagram d'une entreprise.
YouTube annonce un nouveau format de publicité qui ajoute des images de produits navigables orientant le trafic directement vers les pages concernées.
Cette liste n’est pas exhaustive. Pourtant, quelque chose me chiffonne : tout cet arsenal d’outils génère peut-être du social commerce … mais ce n’est pas nécessairement du commerce social. Vous saisissez la nuance ? Il manque bien souvent le plus élémentaire dans l’acte d’achat : le lien “social”. Les interactions entre acheteurs qui suscitent la confiance, la pertinence, la viralité.
Le Social Commerce à la chinoise
Pour mieux saisir cette nuance, il faut regarder du côté de la Chine. Le social commerce y fait rage. Un marché estimé à 547,4 milliards de yuans en 2018 ... à 2 419,4 milliards de yuans en 2022, selon iiMedia Research. Forcément, avec de tels résultats, ce secteur intéresse énormément les investisseurs. Pinduoduo a récolté un total de 3,8 milliards de dollars de financement en 6 tours. Rien que ça.
Le social commerce à la chinoise se distingue pour trois raisons majeures :
La Chine dispose de nombreuses plateformes dédiées au social commerce comme Little Red Book ou Pinduoduo.
Les fonctionnalités existantes entre social et plateformes e-commerce sont extrêmement poussées.
Le paiement intégré est absolument central.
Dans de nombreux cas, l’interaction communautaire constitue un véritable levier d’achat. C’est là que se situe la composante “sociale” dont je vous parlais précédemment. Quelques exemples ?
Pinduoduo. Le concept ? Les utilisateurs repèrent des ventes en ligne, puis font appel à leurs amis pour acheter les produits à prix réduit. Hautement addictives et d'une grande viralité, les fonctionnalités inédites de la plateforme, comme les tombolas ou le marchandage entre amis, apportent une véritable dimension sociale à l'acte d'achat, au-delà d’une simple recommandation, du partage avec ses communautés.
Autre exemple avec Mogujie : une communauté en ligne axée sur la mode et les produits tendance, qui propose des vidéos courtes en streaming et en direct, avec une fonction photos et commentaires plus un soutien à la vente de produits pendant la session de streaming en direct, des achats groupés et des ventes flash. Rien que ça.
Comme vous pouvez le constater, il y a du niveau et des idées. Si vous voulez explorer plus avant cet écosystème, je vous invite à lire le passionnant rapport de Fung Business Intelligence et son intéressante classification du social commerce asiatique où on trouve :
les plateformes de partage de contenus (avec des fonctionnalités de commerce poussées) ;
les “membership platforms” qui adoptent une approche S2b2C - le rapport cite Yunji qui s'approvisionne directement auprès des fournisseurs marques (S), vend aux propriétaires de micro-magasins sur sa plate-forme (b) ; les propriétaires de micro-magasins distribuent ensuite les produits à leurs contacts sociaux, c'est-à-dire les consommateurs finaux (C);
les plateformes d’achats groupés avec Pinduoduo dont je vous ai expliqué le fonctionnement précédemment.
Occident : remettre le “social” au centre
Résumons : l’écosystème chinois du social commerce est bien plus mature et structuré. Difficile de répliquer en l’état, notamment pour des raisons culturelles. Pourtant, un écosystème particulier est en train d’émerger en Occident, en parallèle de Facebook et consort. Sa force ? Vouloir socialiser l'e commerce en intégrant les composantes de socialisation. Ogilvy Asia les détaille dans un article que les acteurs de la vente en ligne devraient ériger en checklist !
1. Preuve sociale : les interactions sociales, en particulier les commentaires, sont-elles visibles pour les autres visiteurs ? Les acheteurs sont-ils en mesure de voir si leurs amis ont acquis le même produit ?
2. Social advocacy : le partage d'expériences entre les consommateurs est-il facilité ? Le contenu est-il suffisamment attrayant pour que les usagers aient envie de le partager avec leurs amis ?
3. Cause sociale : le contenu, les produits, sont-ils en rapport avec des causes importantes ou des sujets brûlants ? Si ce que la marque vend s'inscrit dans un débat de société, elle sera davantage exposée grâce aux algorithmes.
4. Conversation sociale : Y a-t-il des espaces permettant aux internautes d’évoquer leurs préférences, leurs expériences et de poser des questions ?
Des sociétés qui ont compris cela ? Je les ai mappées ci-dessous avec deux grands axes : l’entertainment car il faut du divertissement, surtout en cette période terne ; le shopping en groupe, une composante essentielle du shopping IRL jusqu’alors négligée. (Google doc collaboratif avec tous les liens disponible ici)
Le retail entertainment : des solutions de livestreaming voient le jour en support des plateformes e-commerce classiques, Popshop live, Bambuser ou LiveScale pour ne citer qu’elles.
Our May 2020 Highlight Recap is officially live 🤩 See the array of wonderful sellers using our tool to grow their businesses ⚡️📱✨Le livestream shopping offre deux choses dont les consommateurs ont besoin en ce moment : du divertissement et un sentiment de communauté. Mais attention, le livestream ne se cantonne pas à des influenceurs, certains apps telles Popshop citée précédemment s’ouvrent de plus en plus. A noter que le modèle directement venu de Chine devrait prendre un essor considérable dans les prochains mois ; aussi les use cases chinois méritent d’être observés car ils s’infiltrent dans des univers inattendus comme les sphères feutrées de l’institutionnel, ainsi ces maires des communes proches de Hubei qui live-streament via les plateformes sociales pour promouvoir des producteurs locaux. Un peu gauchement parfois, avec des lumières et des cadrages discutables certes, mais une sincérité indiscutable. Forcément ça cartonne. De même ces agriculteurs de la province de Shandong qui ont tenu une session de live-stream où ils ont fait virtuellement visiter leur ferme à plus de 600 000 utilisateurs. A noter que le gouvernement de la province de Nanchang a signé un accord avec Pinduoduo pour lancer une série d'événements dans le cadre d’un Festival du live-stream. Oui, un Festival du live stream. Rien que ça !
“La virée shopping en ligne à plusieurs” : ce secteur est particulièrement intéressant, dont les acteurs peuvent être répartis en 4 sous-catégories :
Les chats C2C : des outils tels que Howtank ou Tokywoky offrent entre autres services communautaires, des chats que l’on intègre sur son site e-commerce afin de poser des questions à d’autres personnes qui naviguent en même temps que soi.
Les recommandations d’experts : le site Ibbü permet à des spécialistes de venir communiquer leur expertise (et d’être payés pour cela) à des consommateurs en mal de conseils lors de leurs achats en ligne.
La digitalisation du service vendeur pour un réel accompagnement en ligne : on voit se développer des solutions de co-browsing vidéo tels que Surfly ou Acquire. Comme je vous l’expliquais dans un précédent post, j’ai découvert ce concept via le site US Suitsupply ; on peut y chatter avec des vendeurs dont la photo s’affiche, ce qui contribue à humaniser les équipes, le site et la marque, profiter d’un chat vidéo live où on co-browse le site tout en bénéficiant des conseils avisés d’un conseiller. Le process, divertissant, tisse un lien humain fort.
L’émergence des “Shoppable shows” qui se rapprochent du live-streaming (L'avenir du shopping serat-il sur Netflix, Amazon Prime Video et Disney Plus ?) : Snapchat en a annoncé l’utilisation prochaine, preuve qu’il a bien compris qu’il fallait faire du “social” et de l'interaction communautaire le coeur du social commerce. Travaillant également beaucoup autour de l’AR, la plateforme d’Evan Spiegel ne devrait pas tarder à proposer des expériences shopping AR disruptives, tout en conservant la composante sociale. Un exemple ? partager sa tenue en RA pour que son ami l’essaye.
Image : NTWRK - Shop Exclusive Drops
Le shopping entre amis traduit parfaitement la virée shopping IRL : Squad, Squadded, Envite … de nombreux acteurs voient le jour qui se spécialisent dans ce domaine. Un de mes préférés ? Envite, un plugin qui entend VRAIMENT socialiser et gamifier l’acte d’achat : des groups chats avec des sondages pour que vos amis vous conseillent lorsque vous choisissez un produit, des évènements marketing privés, une shopping session hostée par un influenceur ...
Une dernière remarque : Lawrence Taylor, fondateur de Retail 4 brands, trouve l'approche S2b2C évoquée plus haut particulièrement riche d’opportunités. Il imagine carrément une plateforme en backend : identifier les produits répondant le plus à sa communauté et sa capacité d'influence pour les proposer en private label de manière hyper efficace et rapide. Par delà le recours aux influenceurs pour promouvoir un produit, les marques pourraient désormais le développer avec eux comme une marque blanche fabriquée en série limitée.
Commerce everywhere, social everywhere
Ce développement de nouveaux outils s’ancre aussi dans la multiplication de sites e-commerce plus qualitatifs, des contenus soignés, des UGC, du social proof (des outils comme Cavako, Scaleversion, Wiser permettent d’ajouter très simplement - mouvance nocode ! - des notifications sur le nombre de personnes en ligne, de live, de produits restants etc.), des systèmes de notation. Sans oublier les puissantes marketplaces qui elles aussi se socialisent à tout va. Bref des lieux d’échanges et d’interactions, où on pourrait rester des heures … comme dans la vraie vie. Et demain ? Plus de RA, de la VR et du gaming pour des expériences toujours plus ludiques et addictives. Mais aussi du social phygital commerce, encore plus de convergence entre l’online et l’offline.
Revenons à ma question initiale : où est passé le social ? Il est atomisé, je vous l’ai déjà dit : c’est l’avènement du “social by design”, devenu la particularité du modèle occidental. Transformées en de puissants conglomérats média / tech, les plateformes sociales le sont de moins en moins. Attention, je ne dis pas que Facebook et consort ne sont pas capables de remettre le social au centre du dispositif, je dis juste que le social commerce n’est plus leur chasse gardée. Les marques voudront-elles vraiment investir des moyens colossaux sur ces plateformes qu’elles ne contrôlent pas, où le reach et les algorithmes demeurent très obscurs, où bien souvent il faut payer pour être vu ? J’en doute. L’avenir de l’Occident donc ? Place au retail entertainement : le show ne fait que commencer !
Marie Dollé