Social is back, Baby !
À l’heure de la pandémie, les usages se (re)dessinent pour exacerber le lien social. Intrigués ? Voici quelques usages émergents décortiqués pour vous.
🤗 Vers une “intimisation” du web
Avec la privation des échanges In Real Life, la crise a exacerbé le recours obligatoire aux outils collaboratifs, et plus particulièrement aux expériences en ligne où le lien social est fort - typiquement l’hyperprésence. Pas n’importe quel lien “social” cependant : notre usage des social medias est souvent passif et artificiel, notamment quand nous scrollons le flux infini de nos timelines ; désormais, notre démarche, boostée par le manque de dialogue avec autrui, se veut plus active, plus collaborative, presque intime. Intime, oui, je l’affirme, en témoigne l’essor des “digital gardens”. Adepte du format, Joel Hooks, nous en expose le principe : « C'est un endroit où je peux afficher des idées, des bribes, des ressources, des pensées, des collections et d'autres éléments que je trouve intéressants et utiles. C'est pour les grandes choses, mais c'est surtout pour les petites choses. C'est un blog, bien sûr, mais c'est aussi un wiki ».
Le jardin numérique se charge d'idées et d'informations interconnectées que vous collectez, que vous conservez, dont vous vous occupez et dont vous tirez des enseignements au fil du temps, puis que vous partagez.
C’est “une ligne directe au cerveau des gens”.
Et on aime cela, à tel point que le phénomène, se développe tous azimuts, s’ancrant dans l’essor de la Passion Économie. D’autres exemples ?
Substack, site-newsletter destiné aux créateurs qui peuvent y bâtir des audiences et d’où je vous écris. Sa particularité ? Son caractère intime ; dans mon cas, j’écris ici de manière plus libre, plus personnelle, sans le filtre auquel je me soumets quand je rédige pour d’autres médias, je m’amuse davantage, bref, je vous dévoile mon processus de réflexion.
Je pense aussi à des services comme Notion, Semilattice ou Roam Research, outils de prise de notes pour une réflexion en réseau que l’on partage bien souvent en ligne. De véritables fenêtres de l’âme, avec une façon très pertinente de se livrer, émotionnellement forte, et qui amène presque naturellement le lecteur à s’engager comme le ferait un confident.
💬 Commentaires en prime-time
L’intimisation passe également de plus en plus par le commentaire. Celui-là même qui a par le passé donné du fil à retordre aux médias qui ont tenté de le modérer, le structurer, le canaliser, voire même le supprimer, mais qui, indéracinable, revient en force. Une première vague a eu lieu avec des réseaux tels que Reddit et Quora ; désormais ce phénomène s’accélère un peu partout comme une composante de socialisation importante. J’avais d’ailleurs déjà abordé le sujet dans un article sur la veille en qualifiant la prochaine époque de “commentosphère”. On peut observer plusieurs occurrences du phénomène :
Citons une des dernières fonctionnalités de Twitter, qui permet de singulariser un retweet donné sur mobile lorsqu’il comporte un commentaire.
Les équipes éditoriales de LinkedIn agrègent les commentaires des utilisateurs sur la plateforme pour rédiger des articles d’actualité. Petit détail qui en dit long et que vous aurez peut-être remarqué : lorsque l’on partage une publication LinkedIn sur Whatsapp, le nombre de commentaires s’affiche sous le titre.
Citons le format “Article commentaire” que démocratise Substack avec beaucoup d’habileté : au lieu d’écrire un article, un créateur de contenu va lancer une question / réflexion et l’adresser à ses abonnés pour qu’ils y répondent, ce qui va enclencher un article commentaire, un thread si vous préférez, particulièrement riche et intéressant à lire.
Le média américain Protocol expérimente lui-aussi ces “articles commentaires” ; il va même plus loin en proposant des commentaires … sponsorisés. Un parti pris étonnant ; sur l’exemple ci-dessous, vous noterez le soin apporté au commentaire en question, ce qui est inhabituel en la matière. Autrement dit : du sponso oui, mais certainement pas au détriment de la qualité.
Le service Ponder, sur le point d’être lancé, entend offrir une approche similaire, un outil de chatlogging très utile pour produire des contenus à plusieurs. Très pertinent aussi en use case pour les animateurs de communautés désireux de collecter des UGC et de rédiger des contenus crowdsourcés. La fondatrice, Kristen Pavle, qui se définit comme une “social scientist”, m’a contactée en DM pour me proposer d’être beta testeur du service. Je ne manquerai pas de vous faire un retour plus détaillé ;-).
Parfois le commentaire devient lui-même une sorte de réseau social. Je pense à Highlighter, qui entend “libérer les insights contenus dans les livres.” Un réseau similaire à Goodreads mais en plus personnel notamment grâce aux live-chats avec les auteurs que l’on retrouve ensuite via un thread-commentaire.
Par ailleurs, cela fait plusieurs jours que je teste le service Read-up, un site de lecture où l’on partage ses meilleurs articles. Sa particularité ? On ne peut le faire qu’après les avoir VRAIMENT lus. L’outil - assez bien fait mais pas infaillible - mesure le temps de lecture associé au scroll pour déterminer si vous avez effectivement pris connaissance du texte ; ensuite seulement, vous pourrez le commenter. Le commentaire ici est central. Une newsletter des meilleures remarques est envoyée chaque semaine ; le graphisme de la plateforme encourage à partager sur Twitter un flux de commentaires ou un commentaire unique. Exemple ci-dessous.
🛒 Co-browsing et social-shopping en ligne
Somme toute assez classique, le commentaire n’est que la pointe de l’iceberg dans cette quête de web-socialisation. Un autre élément a incontestablement manqué aux usagers pendant le confinement : la virée shopping entre copains. Cette flânerie avec sa meilleure amie, pour se raconter les petits travers de l’existence tout en faisant du lèche-vitrine, conseiller et se faire conseiller … “Tu devrais essayer ça, ça t’irait bien” “J’adore cette couleur” ... Acte ô combien difficile à reproduire en ligne … quoi que ... Le live-streaming très en vogue ces deux derniers mois pourrait devenir la grande tendance du e-commerce international (c’est déjà le cas en Chine, du reste). Mais il va probablement falloir compter sur le “co-browsing” video chat.
J’ai découvert cet outil via le site US Suitsupply où on peut 1/ chatter avec des vendeurs, jusque-là rien que de très ordinaire, si ce n’est qu’une jolie photo vient illustrer les différents vendeurs, qui contribue à humaniser les équipes le site et la marque 2/ profiter d’un chat video live. Intriguée, je clique, suis le process et me retrouve en ligne à co-browser le site tout en bénéficiant des conseils avisés de Benjamin Rook, un des vendeurs de la marque, qui n’hésite pas à atteindre le bon URL avec le produit qui va me plaire. Le process est étonnant et divertissant, mais surtout il crée, à mon sens, un lien humain fort avec la marque
Capture d’écran de la solution de co-browsing Surfly utilisée sur le site Suit Supply
On assiste ici, via la digitalisation du service vendeur, à un réel accompagnement en ligne. Et on pourrait tout à fait imaginer des scénarios sur le même principe avec ses amis. Poussons le raisonnement un cran plus loin : allons-nous voir émerger des nouveaux personal assistants ? Qui navigueront avec nous d’un site à un autre pour nous proposer une expérience unique ? Et puisqu’on parle de personal assistants, des influenceurs eux-aussi pourraient monnayer ce genre de prestation. Qu’en pensez-vous ?
🔮 Holotéliste: votre futur passe-temps ?
Troisième piste donc : l’holotéliste. Holo... quoi ?? Je vous imagine froncer les sourcils derrière vos écrans. Ne cherchez pas dans le dictionnaire. C’est un néologisme de mon cru (que j’ai protégé au passage, on n’est jamais trop prudent). Explications : vous connaissez sans doute le terme “philatéliste” qui désigne le collectionneur de timbres ? Eh bien, un holotéliste, c’est pareil ... mais avec des hologrammes. Toujours perplexes ? Je m’en doutais. Laisse-moi expliciter ma pensée. Je suis récemment tombée sur une application qui s’appelle Jadu. Son business model ? Créer des hologrammes d’artistes, à la vente, avec lesquels vous pouvez chanter et danser. D’après le fondateur, cela sera très utile pour découvrir de nouveaux talents et pour socialiser l’expérience : on n’écoutera plus un chanteur de façon passive, mais on téléchargera son hologramme pour danser à ses côtés dans son salon.
Sacrément original ! Et déjà testé : souvenez-vous, le meeting hologrammé de J.L.Mélenchon en date du 5 février 2017 avait défrayé la campagne présidentielle, introduisant la high-tech dans l’arène médiatico-électorale. L’idée est désormais de l’introduire dans les foyers. Si ce service, pour l’heure, s’applique aux musiciens, on peut tout à fait imaginer d’autres usages… comme des holo-rencontres d’amis ou de collègues ? C’est en tout cas le pari de la start-up Space qui propose une solution de réunions holographiques AR/VR.
Tous les outils que je viens d’évoquer se structurent encore, certains sont même très “early-stage”. Mais ils témoignent tous d’une volonté réelle de socialiser l’expérience digitale en faisant la part belle aux solutions collaboratives plus personnelles, plus créatives. Soyez-en assurés, ce n’est que le début.
Bonne semaine à tous, et à dimanche prochain 😉
Marie Dollé
Twitter : @mariedolle | IG : @mariedolle
PS : Je vous invite à lire ce post de réflexion prospective de Neer Sharma, fondateur de Haiku Jam, une plateforme d’écriture collaborative qui explore le voyage “social” du consommateur sur Internet : au passé, au présent et aux futurs possibles