Triple peak, crise de la résilience, psycho-dating… et autres curiosités
Ou toutes ces révélations contemporaines qui en disent long sur notre époque.
Instantanéité du savoir & crise de la résilience ? Il y a quelques années, dans une tribune pour Umanz, j'évoquais la tyrannie de la commodité et le danger inhérent au chemin de la moindre résistance. Aujourd'hui, face au perfectionnement des IA génératives, notamment illustrée par la récente évolution multimodale de l'emblématique outil d'OpenAI, la question se révèle avec une acuité nouvelle. Les jeunes, naviguant dans cet océan de savoir instantané, pourraient être en danger, non pas seulement d'une érosion des compétences, mais aussi d'une perte potentielle de la précieuse aptitude à tolérer l'effort et l’adversité. L'apprentissage authentique, et plus globalement l'expérience de vie, émerge de notre capacité à surmonter les obstacles, à trébucher sur un exercice, à tolérer l'incertitude, à endurer l'inconfort de l'ignorance et à naviguer avec patience à travers les défis. Ces moments éprouvants ne sont pas uniquement instructifs ; ils forment également le socle sur lequel notre résilience est bâtie. À une époque où le savoir est devenu une commodité, préserver et valoriser notre aptitude à gérer les difficultés s'avère essentiel. La résilience, soft skill essentielle du 21ème siècle ?
Triple Peak et afternoon fun : Naviguant dans l'ambiguïté du statut optimal du travailleur, qui oscille entre nomadisme numérique, télétravail et obligation de présence au bureau (Zoom, ironiquement, impose désormais au moins deux jours de bureau par semaine à ses employés), le modèle hybride entremêle plus intensément nos sphères professionnelles et personnelles. L'année passée, Microsoft a mis en avant le concept du "Triple Peak", dévoilant une troisième phase de productivité nocturne, s'ajoutant aux deux périodes classiques.
Ce bouleversement a engendré ce que le New York Times a baptisé l'"Afternoon Fun Economy", mettant en évidence un essor notable des activités de loisir en pleine semaine. Une étude de Stanford, mentionnée dans l'article, illustre ce phénomène par une affluence renforcée sur les terrains de golf lors des après-midi en semaine, témoignant d'un déplacement des activités de détente, habituellement reléguées à l'après-travail, vers des créneaux traditionnellement dédiés à la sphère professionnelle.
Mais ce n'est pas tout. Les espaces urbains, notamment les parcs et les centres de loisirs, connaissent également une augmentation de fréquentation en semaine, de même que les commerces et les services de beauté.
Nick Bloom, chercheur à Stanford, caractérise cette tendance comme une "économie étudiante" en émergence, suggérant que l'essor des loisirs en après-midi pourrait jouer un rôle sous-estimé dans la relance économique des États-Unis depuis 2020. Cette évolution découle du fait que la quantité de temps que les individus peuvent allouer aux services tels que le shopping, les divertissements et les soins de beauté était depuis longtemps entravée par la rigidité des horaires de bureau, le fameux 09h-18h.
Le bonheur est dans le pré ? La tendance à la déconnexion se renforce. Une donnée récente m'a frappée, provenant de Chine - le pays avec la plus grande population d'internautes au monde - indiquant que l'activité de loisir la plus populaire actuellement est le 'farm stay', ou le séjour à la ferme.
Un phénomène qui fait naître des concepts résolument uniques. Jugez plutôt : à Jinhua, en Chine, les visiteurs peuvent s'immerger dans une expérience hôtelière singulière, où les cochons sont les vedettes.
Niché au cœur du ranch de "cochons panda” l’hôtel propose des chambres luxueuses avec une vue imprenable sur les enclos de ces animaux, et ce, pour la modique somme de $1.660 la nuit.
Netflix IRL. Netflix déploie audacieusement sa stratégie de “défictionnalisation”, métamorphosant les éléments de ses populaires séries en expériences concrètes et palpables. Après s'être aventuré dans le merchandising, les pop-up stores et la food, notamment en Asie avec des produits surgelés à l'effigie de ses séries emblématiques, Netflix aborde un nouveau chapitre en s'associant avec la start-up Dharma.
Ce spécialiste du voyages, mise sur des influenceurs pour créer des expériences uniques. Il a récemment dévoilé son projet d’expérience thématique 'Emily in Paris'. Le concept ? Des visites combinant la découverte d'ateliers de créateurs et des cours de mixologie, orchestrées avec brio par les 'emileaders' de Dharma, et ce, dès avril 2024. Les prix démarrent à $3 396 pour quatre nuits en immersion totale. À souligner : la montée de l'hyperphysicalité et la façon dont Netflix amorce l’ère du streaming immersif en brouillant les frontières entre réalité et fiction.
Mania Booktok : La folie Booktok ne cesse de gagner en ampleur, cumulant pas moins de 184 milliards de vues sur TikTok. Ce phénomène secoue profondément l'industrie du livre, remodelant l'édition, sa promotion, et impactant même les librairies. Esquire évoque la 'merchandisation', une tendance qui révolutionne la manière dont les livres sont promus. Les éditeurs développent désormais des campagnes promotionnelles sophistiquées, habilement combinées à des produits dérivés, des collections thématiques, et des coffrets RP soigneusement élaborés.
Parmi les autres tendances, la romance, sous toutes ses formes (comme en témoignent les tendances Google ci-dessous), stimule la création de concepts dédiés.
Un exemple ? Cette librairie inaugurée à New York en août dernier, qui au-delà de sa façade rose pastel, se distingue par sa spécialisation dans les romans à l'eau de rose.
Mais la romance n'est pas le seul genre à briller. Parmi les autres tendances, il y a aussi la psychologie sous des formes parfois surprenantes. À titre d'exemple, Keila Shaheen, une tiktokeuse âgée de seulement 24 ans, a réussi à surpasser tous les autres livres populaires du moment, y compris la biographie très médiatisée d'Elon Musk par Walter Isaacson ainsi que le dernier ouvrage d'Oprah consacré au bonheur. Comment ? Grâce au "Shadow Work Journal", un guide de santé mentale inspiré de l'analyse psychothérapeutique de Carl Jung, qui propose des questions et des activités pour aider les lecteurs à explorer leur esprit subconscient. Certaines de ces activités incluent la réflexion face à un miroir, la création de listes de gratitude et l'identification des blessures de l'enfant intérieur. Sur TikTok, le hashtag #shadowworkjournal, compte 775 millions de vues.
Il n'est donc pas étonnant que TikTok envisage de se lancer dans l'édition de livres, alors que les jeunes générations délaissent les liseuses pour revenir au format traditionnel. Ils chérissent le papier, l'annotent et en font le support de critiques littéraires filmées, extrêmement virales, créant ainsi presque une nouvelle forme d'expression artistique.
Lien de causalité ?
Bienvenue dans l'ère du "Psycho-Dating". Les termes tels que le "ghosting", le "breadcrumbing", le “benching” ou encore le "vulturing", qui étaient autrefois monnaie courante sur des applications telles que Tinder & Co, pourraient bien être relégués aux oubliettes. Désormais, une nouvelle vague d'applications voit le jour, prônant une rencontre amoureuse plus bienveillante et introspective. Ainsi, le questionnaire psycho fait un retour en force.
Par exemple, Weaver propose un système de matching utilisant 26 questions réparties en cinq catégories : religion, politique, attitudes face à la vie, argent et maturité émotionnelle. Les utilisateurs répondent non seulement à ces questions, mais précisent aussi les réponses acceptables de la part de partenaires potentiels, mettant en lumière les points non négociables. Lors de la consultation des profils, une bannière alerte les utilisateurs si un profil présente un “red flag”, leur permettant alors d'explorer plus en profondeur les réponses de cette personne.
De son côté, l'application de rencontres Cosmic va encore plus loin, suggérant que leur questionnaire ne sert pas uniquement à faciliter le matching, mais également à favoriser la connaissance de soi. Ce qui met en exergue l'idée essentielle selon laquelle une relation épanouissante prend racine lorsque l'on est en harmonie avec soi-même. CQFD. En parallèle, les agences matrimoniales connaissent un retour en force, et le "love coach" endosse le rôle de véritable psy des cœurs.
L'ère du web ambiant se dessine. J'ai effleuré ce sujet il y a quelques semaines dans la newsletter de 15 marches, notant une ascension des dispositifs d'IA embarqués. Ceux-ci, conçus pour augmenter les capacités humaines sans nous muer en cyborgs, s'ancrent progressivement dans le paysage technologique. La semaine dernière d'ailleurs, les exemples se sont multipliés dans la presse.
Zoom sur Rewind Pendant, un pin doté d'IA et capable d'enregistrer et de transcrire l'intégralité des échanges de l'utilisateur. Imaginez un magnétophone, mais en version tour de cou et boosté par l’IA. Même si ce gadget, qui semble tout droit sorti d'un épisode de 'Black Mirror', peut soulever des questions, son utilité dans le contexte journalistique ou lors de réunions est indéniable. Le badge Titan, un autre dispositif IA portable, promet lui-aussi de 'transformer votre vie'. La vraie question demeure : les utilisateurs seront-ils prêts à l’adopter 24/7 ?
Autre exemple, et non des moindres : l'IA Pin de Humane, dont le design ne manquera pas de vous rappeler Apple – un hommage tout à fait logique lorsque l’on sait que les fondateurs sont d’anciens de la marque à la pomme. Sa spécificité réside dans sa capacité à reconnaître les objets environnants et à projeter une interface interactive sur les surfaces adjacentes, que ce soit la paume d’une main ou une table.
Point intéressant également, nul besoin de le jumeler avec un iPhone ou un android... En effet, ce Pin embarque une reconnaissance optique alimentée par l’IA et un affichage laser, tout ceci géré par la robuste plateforme Snapdragon de Qualcomm Technologies. Le suspense reste entier jusqu'au 9 novembre prochain, moment choisi pour lever le voile sur toutes les fonctionnalités de cet accessoire résolument futuriste.
MD
Toujours très intéressant, bravo.
Bravo et merci pour la qualité de cette newsletter pour toutes et tous.