Tu prendras RDV avec mon IA
Whitney Wolfe Herd, la tête pensante derrière Bumble, prédit un futur du dating orchestré par l'intelligence artificielle. Imaginez un peu son scénario : votre IA pourrait "rencontrer" celle d'autres utilisateurs pour vous suggérer les meilleurs profils, agissant ainsi comme un véritable concierge de rencontres. Mi-service personnalisé, mi-scénario dystopique à la 'Black Mirror' — fascinant ou inquiétant ? Difficile à dire. Une chose est sûre : côté romantisme, on repassera.
Cela dit, si l'idée d'une IA matchmaker gérant les romances semble sinistre, la réalité actuelle n'offre guère de réconfort. Il est bien établi que le début du déclin de la santé mentale des jeunes coïncide avec l'arrivée de Facebook & Co. en 2012, mais n'oublions pas que Tinder a également fait son apparition cette même année. Fast forward à 2024, et la scène du dating frôle le tragique : selon la 12e étude annuelle de Match, 64% des utilisateurs ressentent un dating burnout. Autre stat édifiante : près de deux tiers des utilisateurs de Tinder seraient en réalité déjà en couple. C'est la douche froide.
Tinder plus inégalitaire que le Venezuela ?
D'ailleurs, un autre aspect intéressant à considérer est le coefficient de Gini. Cette mesure statistique, souvent utilisée pour évaluer les inégalités de revenus au sein d'une population, trouve également une pertinence dans le contexte de Tinder. Elle est utilisée de manière analogique pour illustrer la répartition inégale des interactions et des likes sur la plateforme. En d'autres termes, cela met en lumière le fait que la majorité des interactions sont concentrées sur une minorité d'utilisateurs, laissant une grande partie des utilisateurs avec peu ou pas d'interactions du tout.
Comme toujours, les causes de ce fléau moderne sont multifactorielles. Il est facile d'incriminer la technologie, les dark patterns et fonctionnalités addictives des applications, du scrolling infini au swipe et au like (beaucoup) trop faciles. Mais la vérité comprend aussi un aspect monopolistique : la mercantilisation des rencontres amoureuses a un visage, celui de Match Group. Propriétaire de dizaines d'applications et de sites de rencontres, de Tinder à Grindr, en passant par Bumble et OkCupid, ce groupe domine le marché. Et à l'heure où l'on envisage de "rewilder" Internet, c'est-à-dire de restaurer ses écosystèmes numériques en favorisant la diversité et la décentralisation, il serait opportun de repenser aussi la diversité dans l'univers des rencontres en ligne.
Fast-life, Fast-love …
Peut-être est-il temps, aussi, de remettre en question certains schémas toxiques contemporains. Sommes-nous esclaves de la rapidité ? L'urgence guide-t-elle chacun de nos pas ? Dans cette ère où les livres sont remplacés par des applications de résumé et où les séries sont visionnées en accéléré, la vitesse semble régner en maître. Besoin d'un rendez-vous médical ? Trois clics sur Doctolib avec l’option “dans les trois prochains jours” et c'est réglé. Envie d'une journée au parc d'attractions ? Optez pour l'option express avec coupe-file. Une fringale à 23h ? La livraison express est là. Et si vos amis semblent trop "slow", pourquoi ne pas essayer le "friendship snacking" ? Dans cette fast life, le fast love semble inévitable. Toujours en quête d'une nouvelle conquête, jamais rassasiés, la spirale semble sans fin. La tyrannie de l'immédiateté, où le "tout tout de suite et hop au suivant" prévaut, dicte certains choix et érode la profondeur des interactions.
Imaginons un scénario différent, une vision que je continue à défendre et à mettre en avant dans cette newsletter. Utilisons l'IA non pas pour accélérer davantage, mais pour offrir la possibilité de ralentir, de réfléchir, de prendre du recul.
Envisageons une IA qui nous incite à faire une pause pour mieux nous comprendre, à s’arrêter dans cette course effrénée... pour peut-être fuir une réalité que l'on n'ose pas affronter : soi-même. Comment pouvons-nous espérer être bien avec quelqu'un d'autre si nous ne sommes pas bien avec nous-même ?
L’IA au service de nos humanités
De nombreux compagnons IA comme Replika, Eva et Kindroid se développent, certains allant même jusqu'à pousser le modèle encore plus loin. Blush, par exemple (créé par l'équipe de Replika), se concentre sur le domaine du dating et utilise des simulations alimentées par l'IA pour coacher les utilisateurs dans ces aspects cruciaux. Ce coaching vise à permettre aux individus de mieux se comprendre, de mieux appréhender les interactions et la psychologie humaine, avec pour objectif d'établir des liens plus profonds et significatifs.
Ce service illustre également l'émergence d'autres applications conçues pour améliorer la communication, notamment au sein des couples, comme l'application Paired. Cette dernière offre aux partenaires la possibilité de se connecter à travers des questionnaires, des jeux, et un suivi de la santé relationnelle, ce qui favorise une meilleure compréhension mutuelle et aide à résoudre les conflits de manière constructive.
Cela nous ramène peut-être à un défi intemporel, celui de nos capacités de communication, souvent identifié comme la principale cause des échecs relationnels. L'intelligence artificielle pourrait nous aider à surmonter ce défi, mais encore faut-il le vouloir.
En explorant plus profondément notre propre psyché, nous pourrions découvrir qu'il n'est pas essentiel de poursuivre des chimères sur nos écrans. La sologamie, phénomène grandissant sur TikTok, suggère que certains ont trouvé en eux-mêmes leur propre âme sœur. Pourquoi ne pas alors arrêter de chercher ? En questionnant notre dépendance à la technologie, cette réorientation pourrait non seulement enrichir nos vies personnelles, mais aussi guérir les fractures sociales engendrées par notre quête incessante de nouveauté. Ainsi, en cessant de chercher, nous pourrions enfin commencer à trouver.
MD
Bravo Marie. Ta NL est devenue un vrai rdv ( digital) pour moi !:)
Toujours un grand plaisir de lire cette superbe newsletter. Réflexion, Humanité, et l'ouverture des Possibles. Merci Marie !