Depuis la fin des années 2010, les géants des réseaux sociaux — Meta, X (ex-Twitter), TikTok, Snapchat — dominent, capturant nos esprits avec des stratégies invisibles. Après la percée de TikTok en 2019, les nouveaux venus peinent à s’imposer. BeReal, l’anti-Instagram, a captivé en 2022, mais son élan s'est vite essoufflé. Une photo par jour ? Trop peu pour marquer les esprits. Et quand les mastodontes copient, la réalité est implacable : si l’innovation allume l’étincelle, c’est bien le social flywheel — cette boucle d’interactions qui s’alimente sans cesse — qui entretient la flamme.
Quand le vide s’habille en pixels
Et demain ? On parle de formats révolutionnaires : vidéos volumétriques, hologrammes, 3D… Mais avant même d’y arriver, un phénomène bien plus insidieux s’impose : les bots. Autrefois rejetés, relégués aux marges et cachés dans l'ombre, ils sont aujourd'hui accueillis à bras ouverts. Avec Social AI, ils ne sont pas seulement tolérés — ils sont glorifiés, devenant nos nouveaux compagnons numériques.
Ici, l’humain s’efface, laissant place à des IA infiniment disponibles — des followers sur mesure : intellectuels, trolls, conservateurs... Un cortège d’entités virtuelles, soigneusement conçues pour nous flatter ou nous contredire, selon nos désirs. Une approche du "social" qui se mue en journal intime, un espace d’introspection sans jugement, où l’on affine ses compétences argumentatives sans jamais affronter la friction des échanges humains réels. Quelle belle promesse ! Mais ne vous y trompez pas. Des amis ? Non, des simulacres, exécutant une chorégraphie froide et déshumanisante.
Tout ça, à quel prix ?
Nous voilà face à une nouvelle manifestation de post-ironie. Car ce qui, au premier regard, semble grotesque — on croirait à une satire amère des réseaux modernes, où la superficialité règne, habillée des oripeaux de l’engagement — devient progressivement une réalité acceptée, un nouveau modus vivendi.
Certains diront que cet exemple est isolé, mais il révèle une réalité plus large : nous évoluons dans une ère où les influenceurs virtuels se multiplient, tout comme les clones numériques et les compagnons IA. Qui aurait imaginé que l’homme, si prompt à chercher la chaleur humaine, se tourne vers des entités qui n’ont ni cœur ni âme ?
Derrière cette tendance se cache une vérité plus sombre : ce ne sont pas seulement des amis numériques que nous recherchons. En interagissant avec ces IA, nous devenons leurs cobayes. Nous les nourrissons de nos pensées, de nos émotions, sans même nous en rendre compte. Et elles apprennent. Elles évoluent. Et nous, nous régressons.
Le poids de l’artifice
Sous le poids de l’artifice, l’omniprésence des IA, censée réduire la solitude, pourrait au contraire l’intensifier. Les interactions authentiques demandent vulnérabilité, dialogue, et l'acceptation des imperfections. Se réfugier dans des conversations programmées ne fait que renforcer l’isolement émotionnel, tout en exacerbant les tendances narcissiques.
Même dans le numérique, des indices subtils d'humanité persistent : les temps de réponse, les hésitations ou les erreurs de formulation témoignent d'une présence véritable derrière l'écran. À l’inverse, les IA, avec leurs réponses instantanées et parfaites, effacent la spontanéité qui rend nos interactions uniques.
Cette uniformisation peut engendrer une fatigue émotionnelle, déconnectant les échanges de la complexité humaine. À long terme, cette quête de perfection algorithmique menace d’appauvrir nos compétences sociales, car l’apprentissage des relations repose sur l’imprévisibilité et les nuances qui caractérisent nos interactions.
Place aux “hobby apps” ?
Des plateformes éthiques émergent, mais leur force — qu'il s'agisse d'algorithmes bienveillants ou de leur absence — est aussi leur talon d’achille. Moins axées sur le social flywheel, elles peinent à "scaler" face aux géants établis.
Pourtant, tout n’est pas noir. Il existe des contre-exemples. Certaines plateformes, en se concentrant sur les passions et les communautés, parviennent à recréer une forme d'engagement authentique. Les hobby apps comme Strava en sont la preuve. Initialement centrées sur le suivi de performances sportives, elles se sont transformées en véritables réseaux communautaires. Sur Strava, les utilisateurs ne font pas que partager leurs exploits sportifs : ils likent, commentent, se motivent à travers des kudos et participent à des clubs virtuels autour de défis collectifs. Ici, l’engagement repose sur une dynamique naturelle, fondée sur des intérêts communs.
Le même phénomène se produit sur des plateformes comme Goodreads pour les passionnés de lecture, ou Shelf, où les utilisateurs partagent leurs découvertes médiatiques.
Ces réseaux montrent qu’il est encore possible de construire des communautés riches, rappelant que derrière chaque échange se cache une expérience humaine.
Des “Dark Patterns” aux “Human Patterns”
Alors, les réseaux sociaux sont-ils condamnés à sombrer dans le "Hollow Media", cet espace virtuel creux où les interactions artificielles prévalent ? Ce danger n’a jamais été aussi tangible. Les engagements simulés, orchestrés par des IA génératives, se multiplient, menaçant la sincérité des échanges humains. Pourtant, une lueur d’espoir émerge.
À mesure que notre conscience évolue vers une prospérité plus authentique, un changement se dessine. Nous pouvons passer des “Dark Patterns” — ces manipulations invisibles qui capturent notre attention — aux “Human Patterns”, des mécanismes respectueux de nos besoins de connexion réelle.
Pensez-y : sur certaines plateformes de rencontre, la fonction de copier-coller est désactivée dans le chat. Ce simple ajustement crée une friction qui valorise l’échange authentique. En rendant la tâche plus complexe, les utilisateurs sont moins enclins à recourir à des réponses pré-écrites ou générées par l'IA, ce qui favorise des interactions plus réfléchies et personnelles.
Un autre exemple est Slowy, une app qui offre une expérience de correspondance traditionnelle sur mobile. Ici, le délai d'envoi des messages dépend de la distance entre les utilisateurs. Cette approche souligne comment des fonctionnalités bien pensées peuvent garantir une dimension humaine et redonner du sens aux connexions.
Si nous orientons les réseaux sociaux vers des interactions plus vraies, ancrées dans la communauté et les passions partagées, il est possible que nous assistions à une renaissance, où les plateformes numériques serviront enfin à nourrir l’humain plutôt qu’à l’aliéner.
MD
On y est presque. Les machines parlent aux machines.
Merci pour cette édition Marie - j'ai pris plaisir à la lire comme d'habitude, mais j'ai eu particulièrement froid dans le dos en imaginant le monde possible que tu touches du doigt. Si tu as identifié des initiatives qui ancrent dans le réel, la communauté et le lien, je suis curieuse d'en savoir plus 😉