Generation Mute : quand le silence devient tendance
Boom des podcasts, multiplication des réseaux sociaux audio, ASMR, lo-fi, dreampop … Face à ce foisonnement sonore, un temps bienfaisant, l’overdose est-elle proche ?
Le silence est d’or
“Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l’or” écrivait Sylvain Tesson dans Les forêts de Sibérie, publié en 2011. Fiction ou prophétie ? Toujours est-il que la pandémie, et en particulier l'éclipse sonore qui a eu lieu lors des confinements, nous a fait redécouvrir les bienfaits du silence dans un monde où le bruit de la circulation, des appareils, des écrans, ou encore des médias est constant. Stress, dépression, problèmes cardiaques, perturbation du sommeil… Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, les nuisances sonores liées au trafic routier coûteraient chaque année l’équivalent d’un million d’années de vie en bonne santé à la population d’Europe occidentale.
Alors que la crise du Covid-19 a exacerbé les considérations autour de la santé mentale, le silence tend désormais à s’inscrire au cœur des tendances wellness. Sur Google, les requêtes autour des mots-clés “silent retreats” et ses variations sémantiques cumulent ainsi près de 20.000 recherches par mois à travers le monde. Des mouvements tels que “Silence Expérience” - dont le manifesto invite à “se reconnecter avec soi-même au travers du silence et en harmonie avec la nature” - fédèrent de plus en plus d’adeptes. Même succès pour les bains de forêt ou encore pour l’Uitwaaien (ndlr. à prononcer OUT-vwy-ehn), une tendance venue de Scandinavie qui consiste à pratiquer du sport dans des conditions venteuses afin de laisser le grand air et les bourrasques chasser ses soucis.
La Gen Z à l’origine de nouveaux usages
Et pourtant, tous les silences ne font pas le même bruit. Sur Clubhouse, entre deux séances de cris de baleines pour extérioriser ses angoisses, vous pouvez désormais participer à des sessions de méditation… en silence. Un concept ironique pour la plateforme emblématique du mouvement audio ! Du côté de TikTok, même (son) de cloche : le hashtag #SilentStudy où des jeunes s'enregistrent en train d’étudier, cumule déjà 134.000 vues. Encore plus fascinant, ce subreddit de 312.000 membres baptisé r/noisygifs met en lumière des gifs silencieux qui donnent l’illusion de faire beaucoup de bruit. Et ce n’est pas tout : une étude menée par la société de mobile analytics Sensor Tower indique que les consommateurs britanniques installant des applications de téléchargement de sonneries ont diminué de 20%, passant de 4.6 millions en 2016 à 3.7 millions en 2020. Un phénomène révélateur alors que le rapport explique que les nouvelles générations choisissent de garder leur téléphone en mode silencieux tout en privilégiant les messageries instantanées aux conversations téléphoniques. Ces mêmes jeunes qui sont également de plus en plus nombreux à venir grossir les rangs des “lurkers”, un terme qui désigne ces internautes qui épient et se nourrissent de contenus sans générer aucune forme d’engagement, sans son ni image.
Plusieurs hypothèses expliquent ces comportements. Premièrement, les Z - nés entre 1997 et 2010 - tendent à développer leur propre langage fait de “vibes”. De quoi s’agit-il ? D’un nouveau type de contenu qui se rapproche des mood boards en opérant une curation d'humeurs et de sentiments. Déterminantes dans la construction de l'identité en ligne, ces vibes s’expriment à travers l'incarnation de courants esthétiques : on parle de Dreamcore, Cottagecore, ou encore Traumacore. De l’expressionnisme 3.0 en somme, pour une génération plus marquée par la solitude et la dépression que ses prédécesseurs.
Ces courants vont jusqu'à inspirer de nouveaux produits comme Heallo, une app sociale où le texte et les sons sont remplacés par des halos de lumière comme autant de fragments d’émotions à partager à ses proches en guise de petites attentions.
Mentionnons également l’une des grandes caractéristiques de cette génération, à savoir sa capacité à accomplir plusieurs tâches de manière simultanée. Autant de scénarios multitasking au sein desquels le silence a un rôle majeur à jouer. Exemple : un jeune va regarder une vidéo en mute sur Facebook (ndlr. Plus de 85% des spectateurs de vidéos sur ce réseau social les visionnent sans le son) tout en écoutant de la musique sur ses Airpods. Faut-il lire entre les lignes pour y voir l’essor de nouveaux services, produits et contenus en fond (in)sonore, à consulter en diagonale ?
Lancé fin 2021, Locket semble cocher toutes les cases de cette tendance. En substance, il s’agit d’une application gratuite où l’on prend et partage des photos en direct avec un maximum de cinq amis. Sans son, ni texte, il a pour particularité d’apparaître directement dans le widget situé sur l’écran d’accueil du téléphone : les photos apparaissent ainsi en filigrane, sans sollicitation sonore ou notification intempestive.
Stratégiser le silence
Vous l’aurez compris, l’enjeu n’est pas de tout passer sous silence mais au contraire de scénariser ce dernier, à l’image d’un bon orateur qui marque des temps de pause pour tenir son public en haleine. Le compositeur Claude Debussy disait à juste titre que "la musique est le silence entre les notes." Sans lui, il n’y aurait ni rythme, ni phrasé, ni respiration et, in fine, pas d’émotions.
C’est donc un véritable défi que de bâtir des stratégies pour sublimer ces silences tout en réfléchissant à leur sens dans le parcours utilisateur. Instagram par exemple, est en train de beta tester une fonctionnalité permettant d’envoyer des messages directs silencieux, sans notification. Une symbolique forte ? Une façon de prioriser à une époque où l'on s’attend à obtenir une réponse à tout, tout de suite ? Un moyen d’alléger la charge mentale, de se libérer de la tyrannie du DM ? Peut-être un peu tout cela à la fois.
Stratégiser le silence peut aussi consister à réduire et/ou à compenser son empreinte sonore. Deux exemples me viennent à l’esprit pour illustrer ce point. Tout d’abord, la popularité des “Silent Discos”, ces concerts où la musique s’écoute uniquement sur des casques ou des écouteurs : l'esprit de la fête, sans la pollution sonore.
Autre exemple parlant, celui de la Chapelle du son à Pékin. Destiné à abriter des concerts, l’espace mise sur une multisensorialité forte avec son design inspiré des grottes et des coquillages évoquant le concept d’hyperphysicalité dont je vous ai déjà parlé il y a quelques semaines. Ce bâtiment a notamment vocation à être utilisé comme un espace de tranquillité, de repos et de méditation entre les concerts.
Que faut-il retenir ? Boosté par la tendance du bien-être et par une jeune génération adepte du multitasking, le silence, devenu une ressource rare dans notre quotidien, reprend ses droits. Et alors que les technologies haptiques gagnent en maturité (ndlr. Le marché devrait passer de 2,6 milliards de dollars en 2021 à 4,6 milliards en 2026), de nouvelles expériences sensorielles, moins sonores et plus tactiles, devraient progressivement s’ancrer dans nos usages. Bref, le silence n’a pas dit son dernier mot.
Marie
PS. Insolite : selon un professeur d’Oxford, les écouteurs antibruit améliorent le goût des plats servis dans les avions ! Vous savez ce qu’il vous reste à faire ;)
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Lorsque l’on écoute de la musique, le silence permet aussi de stimuler la partie de notre cerveau qui anticipe la suite du morceau. Il participe directement à la sensation de plaisir qui accompagne l’écoute de la musique.
https://www.medicalnewstoday.com/articles/gaps-in-music-the-neuroscience-of-pauses