L’avenir du travail… Nous l’imaginons peuplé de machines, de programmes intelligents, d’algorithmes qui prennent peu à peu la main. Mais derrière cette façade, une question essentielle demeure : quelle est, quelle sera la place de l’humain ?
Quand la machine prend la main
L’IA ne se contente plus d’automatiser. Elle apprend, s’adapte, redéfinit les métiers. De nouveaux rôles apparaissent : entraîneurs d’IA, concepteurs de prompts, ou analystes éthiques. Nous passons d’une compétence à l'autre, alimentés par la data, devenue le nouvel or noir. Face aux 613 % d’augmentation des cyber intrusions depuis 2013, la cybersécurité s’impose : ingénieurs en cybersécurité, analystes des risques, auditeurs.
En parallèle, les réalités altérées – réalité virtuelle, augmentée, mais aussi deepfakes – propulsent un "monde en trompe-l'œil” où les frontières entre réel et virtuel s’effacent. Les clones numériques et avatars 3D entendent redéfinir nos interactions. De nouveaux métiers émergent ici aussi : architectes d’expériences immersives, modélisateurs 3D, ou encore gestionnaires d’avatars numériques
Mais plus subtilement, même dans ces métiers hautement techniques, ce n'est plus la maîtrise totale qui prime. Désormais, l’enjeu est de créer et guider des extensions de soi. C’est ainsi que naissent les Out Skills : des compétences où l’humain pilote des assistants intelligents, nourris de données rares, leur conférant des expertises précises, des reflets amplifiés de lui-même.
Contrairement aux hard skills, centrées sur la technique, et aux soft skills, ancrées dans l’émotionnel, les Out Skills dépassent ces frontières. L’humain s'étend, déployant son savoir à travers une équipe numérique façonnée à son image. Il ne vend plus seulement ses compétences, mais celles de ses assistants intelligents, qui prolongent sa présence et son action.
Dans cette économie en K, ceux qui s’adaptent s’envolent, tandis que d'autres restent sur le carreau. L'IA ouvre des portes, mais en ferme d'autres.
Hyper-spécialistes ou polymathes ?
Cette transformation soulève une question essentielle : faut-il se spécialiser ou rester polyvalent ? La technologie pousse naturellement à la spécialisation. Les modèles de langage, autrefois généralistes, se fragmentent, devenant plus petits, ultra-spécialisés, nourris par des données propriétaires, gardées comme des trésors. Les entreprises ferment leurs actifs, forçant la technologie à se verticaliser.
Mais l'humain doit-il suivre cette voie ? Le débat est subtil. La Silicon Valley embauche des philosophes et poètes pour aborder des questions éthiques et améliorer la qualité des contenus IA. Ces penseurs apportent une vision humaniste, une réflexion que la machine seule ne peut générer. La machine peut analyser des données, mais ne peut interpréter ni questionner les impacts à long terme. Les poètes et philosophes ancrent la technologie dans une réalité humaine plus vaste.
Léonard de Vinci le savait déjà : la vraie intelligence ne se cloisonne pas. Ceux qui franchissent les frontières, qui naviguent entre disciplines, créent des ponts là où d’autres tracent des lignes. Les experts dominent l’instant, mais les polymathes bâtissent l’avenir. Car c’est en liant science et art, technologie et philosophie, que l’humain révèle sa plus grande valeur.
Un supplément d’âme
Cet esprit, on le retrouve aussi dans les métiers qui s’acharnent à préserver l’âme du geste. Là où la main façonne, l’émotion infuse. Le cuisinier, le menuisier, le potier ne créent pas des objets : ils prolongent un dialogue entre la matière et l’intention.
Ces "passion skills", parfois hors des normes, sont à l’opposé de la logique rationnelle de la machine. La technologie peut tout imiter, sauf l’essence profonde qui infuse chaque pièce, chaque plat, chaque sculpture. Ces métiers ne sont pas de simples compétences : ils sont une présence, une trace humaine laissée dans un monde façonné par la technologie.

Même les métiers que l’on croyait condamnés à l’automatisation trouvent leur salut dans ce supplément d’âme. Tandis qu’Amazon ferme une grande partie de ses magasins sans caisses, signe d’une automation qui ne trouve pas toujours son public, des initiatives comme les caisses lentes de Jumbo aux Pays-Bas ou de ICA Kvantum en Suède choisissent de ralentir. Ces espaces permettent aux clients, souvent des personnes âgées, de discuter avec les caissiers, redonnant une place à l'interaction dans un monde devenu trop rapide, trop digitalisé. Ici, l'important n'est pas la performance, mais la connexion.
Le murmure du soi
Cette quête de connexion reflète une aspiration plus profonde. Nous avons perdu l’équilibre. L’accélération du monde, entamée avec la révolution industrielle, n’a fait que creuser notre déconnexion. Le loisir s’est vidé de son essence, nous éloignant de l’auto-connaissance, absorbés par des divertissements fugaces. Pourtant, l’IA générative offre une éclaircie. En fouillant les données non structurées, elle dévoile des profondeurs humaines ignorées. Peut-être touchons-nous enfin une ère où la paix intérieure devient possible.
Les métiers du neuro et du psyché fleurissent, tout comme ces marques qui révèlent aux hommes la part d’eux-mêmes qu’ils ignorent. Psychodermatologie, neurogastronomie, neurodesign... Des pratiques qui, au-delà de la technique, tracent un chemin vers l'âme.
LEGO explore cela à travers le dream crafting, tandis que Duolingo repense ses espaces de travail avec les principes de la neuroscience et de la neuroesthétique. Les bureaux deviennent des lieux où chaque recoin s'adapte au souffle singulier de chaque esprit, entre zones de calme et espaces de rencontres. La banque BBVA a quant à elle lancé Atrapando tu sueño ("Attraper ton rêve"), un programme où les cycles du sommeil se transforment en cartes à décrypter, chaque employé recevant des clés pour comprendre son propre repos.
En vérité, les nouveaux métiers technologiques se multiplient, mais rien ne remplacera ceux qui portent un supplément d’âme. Au fond, il ne s'agit pas d'augmenter l'humain, mais de l'élever.
La machine calcule. L’humain imagine. C’est ainsi que l’avenir lui appartient. Comme le disait Xavier Niel : « Si le jeu te défavorise, change les règles ». Car, là où tout semble fermé, l’humain trouve toujours une brèche.
MD
Excellent article, qui nous permet de prendre du recul par rapport à l'usage de l'IA. Gardons effectivement toujours notre supplément d'âme au travail. Marie, vous devriez être remboursée par la sécurité sociale, tellement vous lire fait du bien !!!
Quel superbe texte, quelle superbe réflexion. Merci pour ce beau moment que vous nous donnez à lire.