À l'ère de l'IA générative, une affirmation se fait entendre : "Si l'IA ne remplacera pas l'humain, l'humain qui utilise l'IA remplacera celui qui ne l'utilise pas." Cette déclaration capte une vérité essentielle sur l'impact transformateur de l'IA. Cependant, les nuances de son message et les implications pratiques sont souvent mal comprises ou sous-évaluées, soulignant la complexité et les défis potentiels de son intégration dans notre quotidien.
Hard skills, soft skills…
Historiquement le marché du travail a toujours valorisé les compétences techniques, mais dans un contexte de big bang technologique, ces "hard skills" deviennent vite obsolètes, typiquement en cinq ans pour l'informatique. Cependant, en dépit de leur éphémérité et de la nécessité du lifelong learning, ces compétences restent essentielles pour exploiter efficacement des modèles d'IA générative. En effet, la qualité des réponses dépend largement de la capacité de l'utilisateur à poser des questions pertinentes et à critiquer de manière avisée les informations reçues, enrichissant ainsi l'analyse et la compréhension des données produites par l'IA.
En parallèle, les soft skills continuent de se développer et de se diversifier, allant des "contrarian skills" qui célèbrent avec éloquence nos contradictions et notre authenticité, jusqu'aux "passion skills" qui explorent les profondeurs de l'émotion humaine, dépassant les normes codifiables. Ces compétences interpersonnelles se révèlent être des atouts précieux, car elles incarnent des traits intrinsèquement humains que l'IA ne peut pas, ou difficilement, reproduire.
Aujourd'hui, je propose d'introduire un troisième ensemble à notre arsenal, que j'ai nommé les "Out Skills". Pourquoi ce terme ? Parce que "out" suggère une externalisation ou une extension de nos propres capacités, incarnant ainsi une forme d'optimisation et de renforcement de nos compétences à travers nos propres assistants intelligents. Ces assistants, personnalisés et conçus pour s'intégrer parfaitement dans nos flux de travail, nous permettent d'élargir notre champ d'action et de tirer parti de nos connaissances et de notre expertise d'une manière inédite.
Des nouveaux modèles à inventer
Le concept de l'humain augmenté va bien au-delà de la compétence à prompter de manière efficiente un LLM (Large Language Model). Par ailleurs, les LLM actuels ne sont pas le saint graal. Bien qu'impressionnants à première vue, ces outils n'atteignent souvent pas l'expertise approfondie des entreprises leaders dans leur secteur. De plus, utiliser le même modèle risque à terme de conduire à une uniformité du contenu généré, car tout le monde puise aux mêmes sources.
En outre, les récentes actions en justice intentées contre les leaders opérant ces LLM, comme OpenAI et Microsoft, par de grands éditeurs américains pour utilisation non autorisée de contenus, soulignent un danger imminent : celui de perdre l'accès à des données de qualité. Ainsi, au problème d'uniformité s'ajouterait une baisse de la qualité du contenu généré.
Dans cette perspective, l'humain augmenté ne se contente pas d'utiliser ; il crée. Grâce à des technologies telles que les GPT personnalisés d'OpenAI ou les Gems de Google Gemini, il est désormais possible de concevoir des assistants sur mesure utilisant des corpus de données spécifiques. Parallèlement, Google et Microsoft travaillent déjà au développement d'équipes virtuelles. Cependant, ce n'est qu'une première étape.
De nombreuses utilisations quotidiennes de l'IA se feront bientôt avec des modèles moins coûteux et souvent locaux plutôt que les plus performants et les plus chers. Les entreprises qui réussiront avec l'IA transformeront radicalement leurs flux de travail grâce à des interfaces innovantes et à une utilisation efficace des données personnalisées, perfectionnées par les humains. Ces assistants, grâce à nos “out skills” deviendront ainsi des extensions de notre intellect, redéfinissant les contours de nos pratiques professionnelles.
Un cas d’usage hypothétique
Imaginons que vous soyez investisseur dans un fonds de capital-risque spécialisé en greentech. Chaque année, vous passez en revue mille pitch decks et rencontrez une centaine d'entrepreneurs. Sur ce total, vous investissez dans dix start-ups (SU), représentant 1% des propositions initiales. Parmi ces investissements, seulement deux ou trois SU prospèrent significativement—ceci soutenant la performance de votre portefeuille malgré plusieurs échecs.
Envisagez ensuite la création d'un agent IA personnalisé, conçu pour analyser minutieusement les données spécifiques à votre fonds. Cet outil, nourri de vos analyses, notes personnelles, conversations, avis d'experts, et retours sur projets, pourrait identifier les signes de potentiel succès ou d'échec dès l'examen initial. En tant que membre augmenté de votre équipe, cette IA, grâce a des scenarios de veille automatisés, surveillerait non seulement les SU financées mais aussi celles non sélectionnées, révélant des opportunités jusqu'alors inaperçues et suggérant des stratégies d'investissement fondées sur des analyses de tendances du marché.
La question se pose alors de savoir à qui appartient réellement cette IA : au fonds ou à l'expert qui l'a paramétrée et nourrie ? Peut-il y avoir une IA collective pour la société et des IA individuelles pour chaque employé ? Si cet expert décide de changer de société, emportant avec lui cet outil sophistiqué et l'expertise acquise, il bénéficierait d'un avantage compétitif notable. Cela soulève des interrogations sur la propriété intellectuelle et la mobilité professionnelle à l'ère de l'IA augmentée. De plus, si quelqu'un se monétise sur le marché grâce à lui et à ses alter egos numériques, reste-t-il un individu ou a-t-il évolué pour devenir une forme d'agence à lui seul ?
Enfin immortels ?
Beaucoup de questions sans réponse, indeed. Toutefois, il semble difficile de contester que si l'IA ne remplacera pas l'humain, l'humain qui crée son IA (plus que juste l'utiliser) surpassera – voire remplacera, oui – celui qui se la jouera solo. Je pense donc je suis... mais être ou suivre ?
Récemment, le média américain Every affirmait que l'économie de la connaissance céderait la place à l'économie de l'allocation, transformant chacun d'entre nous en manager. L'accent n'est plus mis sur la possession et la création de connaissances, mais sur la capacité à les allouer efficacement à … un autre soi. On ne serait donc pas manager, mais plutôt momager (je vous laisse apprécier le jeu de mots ;). Et ceux qui saisissent la valeur de leur savoir savent également comment le cultiver et le mettre à profit... même en leur absence.
Dans un monde où le temps, par nature limité, dictait les règles traditionnelles du travail, nos extensions numériques pourraient nous permettre de transcender les limites physiques et temporelles. Cette avancée nous amène à réfléchir : l'immortalité, un rêve séculaire autrefois recherché à travers des potions et des rituels, semble désormais accessible via nos doubles numériques. Vivre éternellement ? C'est désormais une possibilité tangible. Mais à quel prix ?
MD
Avec tout ce que cela implique, nous prenons peut-être le chemin du surhumain. En utilisant des assistants intelligents, nous pouvons optimiser et étendre nos compétences, ce qui nous permet d'aller bien au-delà des capacités humaines "traditionnelles". Cela ouvre certainement de nouvelles perspectives en termes de développement personnel et professionnel, mais peut-être aussi des possibilités moins réjouissantes...
Dans un épisode de podcast d'Estelle Ballot (https://lepodcastdumarketing.com/soft-skills-163/) , j'avais noté qu'elle mentionnait les softs skills pour 2025 vue par le World economic forum et notamment la pensée critique. Cela rejoint-donc la partie d'analyse et prise de recul de ce que l'IA qu'on aura créée nous propose, évoquée ici. Merci Marie pour les prises de conscience de tous les épisodes de la newsletter