2022 s’achève sur la promesse d’un changement sociétal majeur, celle d’une nouvelle ère pour l’intelligence artificielle. Prouesses de l’IA générative, essor des services tels que GPT-3 ou DALL-E… Il faut dire que ces outils, qui permettent de générer du texte ou des images en quelques secondes à partir d’un prompt, sont bluffants. À tel point qu’ils sont devenus un phénomène de société, reléguant - presque - aux oubliettes les trending concepts de 2021 que furent les NFT ou encore le métavers qui, pour l’anecdote, a vu ses requêtes Google divisées par cinq entre janvier et novembre dernier.
En conséquence, jamais les spéculations autour du grand remplacement de l’humain par les machines n’ont été aussi nombreuses. Danger imminent ou péril ordinaire, toujours est-il que l’Homme va vraisemblablement devoir développer ses “softs skills” - des caractéristiques difficiles voire impossibles à reproduire par l'IA comme l’adaptabilité, l’empathie ou encore la créativité - afin de s’assurer un avantage concurrentiel pour l'avenir.
Un avenir où les IA continueront à gommer leurs imprécisions grâce au développement de techniques telles que les contraintes d'équité ou encore l'audit algorithmique. Un avenir où l’IA frôlera sans doute la perfection, tout comme l’humain, lui-même délesté des tâches répétitives et augmenté grâce à des assistants intelligents. Ou pas.
Car la contre-tendance qui se dessine depuis plusieurs mois semble relever de tout sauf de la perfection. 2022 aura ainsi vu la démocratisation du réseau social BeReal qui se veut mettre l’accent sur des contenus à l'esthétique moins léchée, plus naturelle. Ce phénomène dépasse largement les frontières de l’application et alimente désormais de nouvelles stratégies éditoriales qualifiées de “lo-fi”, pour “low fidelity”, à savoir des contenus assumant une production minimale. On a également assisté à une résurgence du “weird” alors que “la bizarrerie est un pouvoir qui dissout les faux binaires et célèbre le spectre complet des possibilités” nous rappelle l’essayiste Douglas Rushkoff. Et que dire de la renaissance du “moche” comme nouveau fashion statement d’une jeune génération jamais à court de surprises ?
L’essayiste Paul Vacca va même jusqu'à prêcher les vertus de la bêtise. Un brin provoquant, le chroniqueur prône l’utilité des questions supposément stupides, qualifiant celles-ci d’outils précieux pour apprendre, remettre en question les hypothèses et favoriser l'innovation. “Combien de découvertes, d’inventions ou d’innovations sont nées de manière irrationnelle, par accident, par négligence, voire par bêtise ? (...) Les exemples sont légions" surenchérit-il. Sans parler du boom de l’obfuscation, une pratique qui consiste ni plus ni moins à “jouer au con” avec l’algorithme en générant volontairement de l'irrationnel et du chaos dans nos clics et recherches afin de nous rendre moins lisibles par les IA. Et dans une ère où fleurissent les problématiques autour de la santé mentale, comment ne pas considérer qu’il y a du bon dans la bêtise ? Après tout, la cérébralité que suppose l’intelligence ouvre aux complexités de la vie que le fameux “imbécile heureux” a le bonheur d’ignorer.
Ainsi se dessine le dénominateur commun à tous ces exemples : l’imperfection. Car en fin de compte, ce sont bien ces imprécisions et le caractère unique de celles-ci qui pourraient constituer la réelle valeur ajoutée de l’humain dans un avenir proche. Dans un futur aseptisé par l’IA, ce ne sont peut-être pas tant nos “soft skills” qu’il faudra cultiver mais plutôt nos “contrarian skills”, nos contradictions, notre authenticité. Un peu comme l’art japonais du Kintsugi qui consiste à réparer un objet en soulignant ses fissures avec de l’or, le rendant aussi inédit que précieux… Et si le temps était venu de redonner toutes leurs lettres de noblesse à nos parfaites imperfections ?
MD
Espérons en effet qu’à mesure que certains rendent les machines plus humaines, d’autres veuillent rendre les humains moins machinaux, en jouant plus sur la franchise.
Le billet m'a fait prendre conscience de la vitesse à laquelle les promesses technologiques surgissent (GPT-3) ou s'effacent (NFT, Metavers).
Un peu comme s'il y avait une attente impatiente de la prochaine révolution technologique.
"Je suis passé à côté de de l'émergence d'Internet, puis des réseaux sociaux du Web 2.0, alors la prochaine fois je ne vais pas louper le truc".
A côté de ça, je travaille avec des entreprises petites et grandes et constate combien elles peinent à résoudre leurs difficultés opérationnelles, avec les conséquences que l'on connait sur leurs employés.
Ca donne l'impression d'un fossé technologique qui se creuse entre les attentes de la société et celle des investisseurs à l'affut du next big thing.