Peut-on échapper à la dictature de la dopamine ?
Réflexions sur la quête de sens et la reconquête de l’attention.
Le hamster dans la cage
Nous ne vivons plus dans l'économie de l'attention, mais bien dans celle de l'addiction. L'économie de la dopamine. De la satisfaction instantanée. Chaque jour, une course frénétique pour capter ce qui, aujourd'hui, est devenu notre ressource la plus précieuse : notre temps de cerveau. On nous harcèle à coups de notifications, d'alertes, de contenus. Tout est conçu pour nous accrocher, nous faire revenir, encore et encore, pour une shoot de plaisir.
C'est le grand manège du XXIe siècle. Scroll. Clic. Like. Replay. Une petite montée d'euphorie, vite remplacée par un autre besoin. Une consommation qui, finalement, ne rassasie jamais. À la fin de la journée, il ne reste que du vide.
Ce modèle-là, il vacille. Il doit vaciller.
La glorification du prompt
Cette addiction ne se limite pas seulement à la consommation de contenu, elle s'étend aussi à la manière dont on nous vend la simplification des processus complexes.
Comme beaucoup, je joue avec les IA. Ces outils, fascinants à première vue, peuvent résumer, créer, prédire. Et aujourd’hui, on en est venu à glorifier l’art du "prompt", comme si la clé du savoir reposait simplement sur la formulation parfaite, la directive adéquate. Est-ce cela, vraiment, l’essence de la maîtrise ? Bien sûr que non. Le prompt n’est qu’un début. L’essentiel réside dans ce qui suit : le cheminement intellectuel, l’affinement progressif de la pensée, les révisions qui transforment. C’est dans cet espace de réflexion, dans la quête elle-même, que se joue la véritable croissance, comme pour l’étudiant qui apprend davantage en cherchant la réponse qu’en l’obtenant
Alors que faisons-nous du temps que ces technologies nous libèrent ? Si les IA nous délestent des tâches répétitives, qu’en est-il de l’essentiel ? Nous sommes submergés d'informations générées à la chaîne, et paradoxalement, ce n’est plus l’abondance qui pose problème, mais le discernement. Saurons-nous encore distinguer ce qui compte dans cette prolifération insensée ?
l’IA calcule, l’humain devine
Récemment, je discutais avec une amie, assistante de direction, à propos d’un outil d’IA pour la gestion des plannings, doté d’un module prédictif performant. J’étais impressionnée par son efficacité—sa capacité à optimiser les calendriers à la perfection et à s’adapter à mes habitudes prévisibles. Elle a souri, puis m’a montrée l’agenda de sa boss, surbooké jusqu’en décembre. Ensuite, elle m’a dit quelque chose qui m’a stoppée net :
« Bien sûr, l’IA peut comprendre qu’une réunion est plus importante qu’une autre, ou que le Pilates a lieu tous les jeudis midi. Mais elle ne saura jamais apprécier ces petites nuances. Elle ne comprendra pas que tu peux caser une fenêtre de dix minutes parce que mon boss n’aime pas cette personne et qu’elle écourtera sûrement la réunion. Moi, je le sais. »
Voilà la nuance essentielle : l’IA calcule, l’humain devine. Là où la machine applique des algorithmes, nous percevons les subtilités. Les non-dits, les intuitions, ces décisions prises sur un coup d’instinct échappent aux lignes de code. Et c’est dans cette finesse que réside notre singularité.
Un tournant ?
Mais cette différence va au-delà du simple discernement. Ce qui nous distingue profondément, c’est notre capacité à apprécier et à donner du sens là où l’IA ne voit que des données brutes. L’appréciation humaine comporte deux dimensions : d’abord, l’évaluation, notre aptitude à juger la qualité ou l’importance d’une chose ; ensuite, et surtout, la résonance émotionnelle, cette connexion unique à l’inquantifiable et à l’imprévu. Seul notre esprit émotionnel peut réellement explorer ces territoires, là où les algorithmes s’arrêtent.
Cette quête de profondeur, bien que discrète, commence déjà à se concrétiser à travers des initiatives tangibles. Par exemple, LEGO, avec le soutien du psychologue onirique Ian Wallace, explore le "dream crafting". Ce concept permet aux enfants de façonner leurs rêves consciemment, les aidant à mieux comprendre leurs émotions tout en développant leur imagination et leur résilience. Ce processus dépasse le simple divertissement : il invite à une exploration intérieure, loin des distractions superficielles, pour une reconnection avec leur monde émotionnel.
Dans la même veine, Black Tomato, avec son service Bring it Back, propose des voyages qui vont au-delà du simple tourisme en les construisant autour d’une question personnelle ou existentielle que le voyageur souhaite explorer. L'idée est que chaque destination et activité sont soigneusement sélectionnées pour aider à répondre à cette question, qu'il s'agisse de stimuler la créativité à travers un séjour au Maroc ou de mieux comprendre les relations familiales lors d'une immersion en Mongolie. C’est un voyage qui confronte l’extérieur et l’intérieur, où la découverte du monde rejoint celle de soi.
L’économie de l’appréciation
Peut-être assistons-nous à un tournant. Un moment où la véritable richesse ne réside plus dans la quantité d’attention captée ou dans la dopamine que l’on distille à la minute, mais dans notre capacité à apprécier, à comprendre, à donner du sens. Le progrès technologique devrait nous libérer de la superficialité pour nous offrir la profondeur. Mais encore faut-il en avoir conscience. Nous ne sommes pas condamnés à courir après les plaisirs éphémères.
Nous devons apprendre à apprécier, à trier ce qui mérite notre attention. Marie Kondo nous a déjà montré la voie avec sa méthode KonMari, en invitant à garder ce qui « suscite de la joie ». Nous devons en faire de même avec notre temps, notre énergie, notre esprit.
Nous avons passé des années à courir après des plaisirs fugaces, à nous noyer dans l’éphémère. Mais le moment est venu de revenir à l’essentiel, de réapprendre à ressentir, à réfléchir, à créer du sens.
La question n’est plus de savoir ce que nous pouvons produire. La question est désormais : qu’allons-nous préserver ?
MD
Deep intuition Marie. Je pense qu'il y a un champ massif pour l'appréciation economy, un blue ocean. Il faut seulement creuser plus profond que la surface de ce qu'il nous est donné à voir. Un insight aussi puissant que l'hyperphysicalité.
J'ajouterai aussi une perspective. Si vous êtes un professionnel d'un domaine, la ville et l'urbanisme par exemple, l'IA sera un support, un matériau qui fera l'objet de corrections et d'approfondissement de votre part, les sources seront de plus évaluées. Bref plus vous êtes spécialiste d'un domaine et moins l'IA facilite la réponse "prête à l'emploi" et nécessite un travail critique. Au fond c'est aussi le propre de la connaissance, plus vous apprenez moins vous savez, avec l'IA c'est pareil, le vertige de l'ignorance, et l'humilité face à la connaissance. Sinon bravo pour votre lettre.