Quoi de plus noble que d'écrire ses pensées dans un journal intime ? Cette pratique a des racines qui remontent à l'Antiquité. Les scribes mésopotamiens et égyptiens gravaient leurs récits sur des tablettes d'argile, permettant ainsi d'avoir un aperçu de leur vie quotidienne et de leur culture. Au cours des XVIe et XVIIe siècles, la dimension plus intime de l'écriture personnelle, telle que nous la connaissons aujourd'hui, a émergé, lorsque les journaux personnels sont devenus un outil de réflexion et de documentation individuelle.
Aujourd’hui, cette tradition connaît une renaissance fulgurante. Sur TikTok, le hashtag #Journaling a cumulé près de 1,2 million de posts, vantant souvent les mérites des versions manuscrites. Certaines vidéos, comme celle-ci proposant de réaliser un journal à partir de papier teinté au café (un processus qui ajoute une esthétique vintage et une touche sensorielle unique), ont même atteint 1,5 million de likes. Sur Google, la tendance se confirme, avec plus de 135 000 requêtes en mars 2024, en hausse de 50% en deux ans.
Ce phénomène a également pris un virage digital avec des applications comme Day One, téléchargée plus de 15 millions de fois. Automattic, propriétaire de WordPress et Tumblr (entre autres) et pionnier des plateformes de blogs, a vu une opportunité dans ce succès et l'a acquise en 2021. Plus récemment, ils ont ajouté text.com à leur arsenal, une plateforme qui aide les marques à optimiser leur service client en analysant, enrichissant et automatisant des communications textuelles.
On peut se demander ce qu'Automattic mijote. D'autant plus que l'entreprise s'apprête à refondre le modèle WordPress, rendant potentiellement plus simple le partage de pensées personnelles issues de Day One.
Cependant, leurs ambitions semblent bien plus vastes. Bien qu’Automattic s'engage fermement à protéger la confidentialité des utilisateurs, anonymiser les données pour en extraire des insights tout en maintenant ces engagements est toujours possible. Cette anonymisation, associée aux capacités analytiques et à l'automatisation de text.com, pourrait permettre à Automattic de capitaliser sur les tendances émergentes et de créer une nouvelle génération de solutions de communication, fondée sur une compréhension approfondie des émotions et des comportements humains. Entrons-nous dans l'ère de l'affective computing ? Jetez un œil aux intitulés des offres d'emploi chez eux, comme "happiness engineering", et vous comprendrez que les interactions humaines et leurs nuances émotionnelles sont au cœur de leur vision.
En tout cas, il est évident que les contenus personnels et intimes occupent une place croissante sur le web.
Le fonds d’investissement USV Ventures a récemment expérimenté l'idée d'Overheard "OH at @USV," où une IA enregistre et synthétise les conversations de l'entreprise pour partager quelques moments clés avec le grand public. Bien que le contenu conserve un ton assez neutre, cette initiative évoque des informations glanées, presque confidentielles, rappelant des extraits de journaux intimes, offrant un aperçu des discussions quotidiennes et des réflexions internes.
Asana, pour sa part, a fait un pas de plus en insufflant un ton personnel et introspectif à ses notifications de mise à jour produit, transformant les informations techniques en réflexions intimes.
Le meilleur pour la fin ? Ou du moins pour les plus sceptiques parmi nous ? Parmi ces exemples, l'un des plus frappants est le récent lancement par Apple de son application native de journal intime, qui se distingue par son utilisation par défaut des données on-device. L'application exploite les données locales, telles que la localisation, les activités et les photos, pour offrir une expérience de journaling HD, tout en garantissant la confidentialité grâce à l'architecture de sécurité d'Apple.
Mais cette application ne se limite pas à offrir un espace privé pour la réflexion personnelle. Son utilisation avancée des données on-device donne un aperçu de l'avenir d'Apple, notamment en matière de réalité augmentée. En comprenant le contexte de l'utilisateur et ses interactions sociales, l'application prépare le terrain pour des expériences de réalité augmentée plus immersives.
Avec des appareils comme les Apple Glasses en développement, l'application pourra comprendre le contexte en temps réel pour adapter l'interface à l'environnement de l'utilisateur. Imaginez une combinaison du spatial computing, qui permet d'intégrer des objets numériques dans notre environnement physique, de la méthode des loci (palais mental), une technique qui associe des informations à des lieux mémorables pour améliorer la mémoire, du journaling pour capturer et refléter nos expériences, et de l'engagement interactif et ludique inspiré de Pokémon Go. Cette application de journaling représente un premier pas vers des expériences enrichies par la réalité augmentée, où le journal pourrait devenir un compagnon numérique intelligent et utile au quotidien.
Peut-être que cela va encore plus loin. Alors que nous entrons dans l'ère du selfpressionnisme, cette tendance s'entrecroise avec une autre : le renouveau des biopics, reflets cinématographiques de vies humaines. Les recherches Google sur les biopics ont augmenté de 49 % au cours de l'année écoulée, et Netflix propose désormais plus de 200 biopics sur sa plateforme. Nous entrons dans une ère où chacun, fort du potentiel immense de l'IA générative, pourrait devenir le héros de son propre biopic, naviguant entre les pages de son journal numérique et les réalités augmentées qui émergent. Reste à savoir si ce biopic sera réservé au cercle intime ou exposé aux yeux de tous.
MD
Excellent, j’apprends beaucoup de chose en vous lisant, les technologies sont inepuisables 😋
Excellent