Le malheur de notre société, c’est que trop souvent, on prend l’excès pour de l’audace - et la nuance pour un manque.
C’est exactement ce que j’ai ressenti en lisant un article écrit et relayé sur LinkedIn par un journaliste de Fast Company. Un de ces textes où la prose semble plus soucieuse de briller que d’éclairer.
L’auteur y fustige celles et ceux qui utilisent l’IA pour écrire, notamment sur LinkedIn. À ses yeux, c’est trahir le lecteur :
“Presenting a friend or colleague with a note an AI wrote is like inviting them over for dinner and microwaving a Stouffer’s. An AI post on LinkedIn is bringing that same microwaved dinner to a potluck. You should be embarrassed in either case!” (ndlr : Stouffer = Picard)
La métaphore est brillante. Peut-être même trop. Elle donne l’illusion d’avoir tout dit - alors qu’elle évacue l’essentiel.
Oui, il y a des contenus creux, clonés, impersonnels. Ça se voit. Ça fatigue. Mais soyons honnêtes : il y en avait bien avant l’IA. Des kilomètres de platitudes ont été publiés sans ChatGPT.
L’IA ne rend pas les gens plus bêtes. Elle les rend visibles.
Le problème n’est pas l’outil. C’est l’usage. Ou plutôt : l’intention.
Ce n’est pas l’IA qu’il faut interroger, c’est ce qu’on en fait. Comme toute technologie émergente, l’IA générative a ses débuts bruyants, maladroits, parfois grotesques. Mais on apprend. On trie. Et ceux qui s’en servent mal perdront, naturellement, en crédibilité.
Ce que ce journaliste oublie – ou choisit d’ignorer –, c’est tout le reste. Les personnes pour qui l’IA générative est une rampe d’accès, pas une tricherie. Celles qui n’ont jamais eu les mots, mais toujours eu des idées. Celles qui ne cherchent pas à aller plus vite, mais à aller autrement. Pas pour produire plus, mais pour penser mieux.
C’est à elles que je pensais en lisant cette tribune moralisatrice. Alors j’ai posé une question à ce journaliste :
« Si quelqu’un passe cinq heures à retravailler un texte généré par l’IA, alors qu’il l’aurait écrit en une seule sans elle, est-ce que ça change quelque chose à sa valeur ? »
Réponse : non. Ce texte resterait, selon lui, inauthentique. J’aurais simplement perdu mon temps.
Mais que fait-on de celles et ceux qui ralentissent avec un outil conçu pour aller plus vite ?
Il y a une autre manière d’écrire avec l’IA. Une manière exigeante. Laborieuse, parfois.
Celles et ceux qui s’en servent pour tester, reformuler, affiner. Pas pour automatiser, mais pour creuser. Pas pour contourner l’effort, mais pour créer une friction féconde.
Parfois, ce qui compte, c’est le détour. Surtout quand il commence là où on ne l’attend pas. Car freiner avec un outil qui pousse à accélérer, c’est ouvrir un autre type d’attention. Moins linéaire. Plus fertile.
Il m’est arrivé, en relisant mes textes, de constater que certains me semblaient plus justes, plus habités. J’ai voulu comprendre pourquoi. Et j’ai découvert qu’ils avaient tous un point commun : je les avais écrits la nuit. Curieuse, j’ai interrogé l’IA : “Pourquoi écrit-on parfois mieux la nuit ?” Réponse (condensée) : “Parce que les idées ont plus d’espace.”
Et ça m’a frappée. Peut-être que respecter le lecteur, ce n’est pas seulement une question de temps passé, mais d’espace qu’on se donne. Une attention plus souple. Plus disponible. Et ça, on en parle ?
C’est peut-être déjà une autre manière d’écrire. Et d’inviter le lecteur à lire autrement. Non pas refaire ce qu’on sait faire, mais s’aventurer là où l’on ne savait pas aller.
Non, l’IA générative n’est pas sans issue. Ce qui l’est, ce sont nos vieux réflexes.
Tant qu’on reste accrochés aux mêmes critères d’authenticité, on regarde dans le rétroviseur. Et à force de tourner le dos, on finit par tourner en rond.
MD
Deux petites questions :
1. Lorsque tu écris en anglais (et parfois) en français, est-ce que tu utilises l'IA ?
2. Où trouves-tu tes magnifiques aquarelles bleues que tu affiches sur tes textes ? Elles sont magnifiques !
Je suis bien d'accord avec toi. Et puis il y a aussi un autre usage avec l'IA que je teste parfois. A partir de réflexions à voix haute retranscrites par IA (type voicenotes et TalkNotes), je demande à Claude de restructurer mes pensées. Au final il ne change pas mon style "d'écriture" (même si dicté à l'oral), il ne rajoute rien que je n'aie pas dit, il polit... Est-ce que le texte écrit au final est "faux" pour autant ?