Si l’interminable feuilleton judiciaire autour de Meta et la tempête politico-médiatique du rachat de Twitter par Elon Musk occupent le devant de la scène, la révolution gronde en coulisses alors que les start-up flairent le bon time-to-market pour venir bousculer les leaders. Tantôt stimulés par l’économie des créateurs et/ou le nouveau paradigme du Web3, poussés par une créativité débordante, ces outsiders pourraient bien renouveler le modèle social media en profondeur. Décryptage.
Casser les codes pour se réinventer avec créativité
L’expérience du passé suffit-elle à appréhender le futur ? En tout cas, si l’étude de la timeline social media met en exergue une consolidation de l’écosystème depuis une dizaine d’années autour des mastodontes - la big “blue app” de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp, Messenger), YouTube, Twitter, Linkedin, Pinterest, Reddit… - elle nous apprend également que, tous les cinq ans environ, émerge un acteur suffisamment disruptif pour se frayer une place au sommet.
Souvenez-vous. En 2011, Snapchat renouvellait le genre avec ses messages éphémères, son format stories révolutionnaire ou encore ses filtres qui ont vite fait d’être copiés par les autres plateformes. Qu'à cela ne tienne : aujourd’hui encore, la créativité s’inscrit au cœur de l’ADN du réseau d’Evan Spiegel qui conserve un temps d’avance sur bien des sujets, tels que la réalité augmentée.
En 2016, c’est TikTok qui débarquait dans l’arène avec ses micro-vidéos mais surtout un puissant algorithme qui, contrairement à la majorité de ses concurrents, permet désormais à n’importe quelle vidéo de devenir virale en quelques secondes, donnant ainsi une visibilité imprévisible à une marque ou à un individu.
Quid du cru 2022 ? Selon moi, la surprise pourrait bien venir de la plateforme BeReal et de son étonnant positionnement. Exit la connexion H24 qui pèse sur notre charge mentale : cette app française cible chaque jour une heure différente pour envoyer une notification simultanée à ses utilisateurs et les inviter à prendre une double-photo en deux minutes : une par la caméra avant, l'autre par la caméra arrière du smartphone. Basta. Autre prouesse ? Sa faculté à se débarrasser des lurkers - les utilisateurs qui consomment du contenu en mode fantôme - puisque si l’utilisateur ne poste pas sa photo, il ne pourra pas visualiser celles des autres. À noter qu’ici, l’ajout de friction se positionne à contre-courant - et avec succès ! - des usages qui se généralisent sur le web. L’app, financée par le prestigieux fonds VC a16z, a été téléchargée 3,5M de fois sur iOS et Android en mai dernier selon Sensor Tower. Reste à savoir si elle saura monétiser sa base utilisateurs sur un laps de connexion aussi faible.
Appréhender le it-format de demain
La créativité va souvent de pair avec la capacité à anticiper un nouveau médium ou un nouveau format susceptible d’alimenter les modes de communication des nouvelles générations. En 2010, Instagram démocratisait ainsi le format images. En 2013, Snapchat introduisait les stories là où, trois ans plus tard, TikTok popularisait les micro-vidéos.
En 2020, Clubhouse plébiscitait le format audio : c’est justement sur ce créneau qu’il existe encore, à mon avis, des opportunités à saisir. Citons par exemple Somewhere Good : lancée le mois dernier, cette plateforme se base sur l'enregistrement de la voix. Sa particularité ? Pas de followers, pas de likes, pas de flux ou de profils personnels en dehors des éléments de base : nom, pronoms, localisation et photo. Actuellement, l'application comprend quatre "mondes" dans lesquels les utilisateurs peuvent choisir d'entrer : Rituels d'artistes, Soins communautaires, Bibliothèque radicale et Discours profond. Bref, vous l’aurez compris, ce réseau social de l’audio cherche à soigner les maux des plateformes précédentes en ciblant la problématique croissante de la santé mentale.
Mais l’audio n’est pas le seul format qui devrait se frayer une place au soleil. Plus qu’une tendance, le mème est aujourd’hui devenu un nouveau langage visuel. Reprise de la théorie de l’évolution de Darwin, ce format illustre l’hypothèse selon laquelle l’imitation joue un rôle capital dans la transmission culturelle. Preuve de leur puissance, les subreddits r/Memes (19.2M d’abonnés) ou r/MemesEconomy (1,5M d’abonnés) n’en finissent plus de croître. Un réseau social que je surveille de près est Piñata Farms. Ne cherchez pas à la télécharger, l’app n’est pas encore disponible en France ! Son concept ? Permettre à tout un chacun de créer des memes très facilement pour nourrir les conversations.
Autre format à suivre : les hologrammes 3D. Je vous avais déjà parlé de Jadu en mai 2020, qui, même s’il ne s’agit pas d’un réseau social à proprement parler, offre un avant-goût des nouvelles utilisations potentielles. Cette app spécialisée dans l’holographie a d’ailleurs, depuis, pivoté dans la création d’un monde de jeu en réalité augmentée. Depuis mon précédent article, la start-up a levé $34M via trois tours de financement dont le dernier a eu lieu en mai dernier.
De nouvelles sociétés apparaissent sur ce segment, comme Volograms. Pour être plus exact, cette dernière est une start-up spécialisée dans la capture d'humains en 3D à l'aide d'une technologie appelée vidéo volumétrique. L'entreprise s'éloigne des configurations de capture volumétrique typiques avec des dizaines de caméras, des écrans verts et des salles de serveurs, en développant un ensemble d'algorithmes d'IA qui vous permettent de capturer des humains en 3D en utilisant simplement votre smartphone.
À cet effet, elle a développé Volu (essayez-le !), un nouvel outil de communication qui résout l'un des plus grands défis du métavers : la création de contenu. Comme me l'explique son fondateur Rafael Pagés : "Tout le contenu du Métavers est créé par un développeur, un artiste ou un professionnel, avec des outils professionnels... ce n'est pas scalable ! Volu permet, pour la première fois, de créer du contenu généré par l'utilisateur pour les Métavers. Et ce n'est que le début ! Notre vision est de construire une caméra pour les Métavers. Nous commençons à travailler avec d'autres entreprises pour intégrer notre technologie de capture dans différentes plateformes et appareils : une caméra pour le Métavers dans la poche de tous !"
2mee est une autre entreprise qui s'intéresse plus particulièrement à la création de messages holographiques, qualifiés de "human messaging" ou de “immersive messaging”. Autrement dit : vos messages pourraient bientôt être véhiculés via vos hologrammes avec des effets spéciaux et autres fonctionnalités qui ringardiseront définitivement les images et les gifs. Le futur de WhatsApp et consorts ? Qui sait. Toujours est-il que le sujet est fascinant et je vais y consacrer un article plus détaillé très prochainement. Stay tuned.
La niche, at scale
Ces dernières années, on ne compte plus le nombre d’acteurs qui ont fait le pari de se lancer sur des verticales. Un challenge de taille puisque pour séduire les early-users au sein des communautés mode, beauté, food (...), il semble indispensable d’avancer des arguments à forte valeur ajoutée. D’autant plus que les plateformes généralistes multiplient les outils segmentaires, à l’image du widget “recettes” développé par TikTok en partenariat avec Whisk.
Les points cruciaux en ligne de mire ? La distribution, la monétisation ou encore la gouvernance, un point-clé à l’heure où les créateurs-influenceurs s’affirment comme des entrepreneurs et, au-delà de la rétribution monétaire de leurs contenus et produits, entendent désormais devenir des shareholders des plateformes qu’ils utilisent. Autrement dit, nous allons passer d’une étape de co-création avec ses audiences ou des marques à du co-ownership.
La question de la distribution, en particulier, peut s’envisager façon TikTok via un algorithme qui pourra pallier le besoin de construire une audience pendant des mois - voire des années - avant d’espérer émerger. Mais ce n’est pas si simple... Une autre piste selon moi, consiste à s’inspirer de Canva pour proposer des templates propres à chaque verticale et donner la possibilité de distribuer les contenus directement sur les plateformes existantes pour faire levier sur les bassins d'audience déjà en place.
Un exemple ? Le réseau social français Mirepoi dédié aux foodistas et actuellement en déploiement beta. Son fondateur, Olivier Mermet, m'a expliqué être en train de développer des templates dédiés et une infrastructure ad hoc pour redistribuer en un clic sur les plateformes existantes. “Un des vrais enjeux est de lubrifier la distribution au maximum ce qui permettra de favoriser l’adoption” indique t-il. La plateforme teste également un accompagnement dédié pour aider les créateurs à générer de contenus haut-de-gamme grâce à un système d’avance/rétribution inspiré par les maisons d’édition, en plus compétitif. L’adage social « If content is King, Distribution is King Kong » n’a jamais été autant d’actualité !
Le NFT au cœur du modèle social
Aujourd'hui, nous affichons nos photos, nos vidéos, notre statut, notre fonction et bien d'autres choses sur les plateformes sociales. Et si, demain, nous utilisions nos collections de NFTs - et leurs avantages associés - pour nous connecter avec d’autres détenteurs ? Et si ces digital wallets incarnaient une nouvelle forme d’interaction au sein du métavers dont on parle tant ces temps-ci ?
"Posséder des NFTs pour votre entreprise sera comme avoir un site web en 2005 ou avoir un compte sur les médias sociaux en 2015" a récemment déclaré l’expert Gary Vaynerchuck. Un avis partagé par Eytan Messika, co-fondateur de la start-up Nilos, une infrastructure financière qui permet à quiconque de créer une entreprise sur le Web3. “Dans quelques années, un wallet équivaudra à un compte en banque, un réseau social et une messagerie instantanée” m’expliquait-il dans un précédent numéro de cette newsletter.
Force est de constater que l’actualité semble abonder dans leur sens… Premièrement, les leaders du marché étudient toutes les possibilités autour des NFTs. Après Twitter en début d’année, Facebook et Instagram prépareraient également une fonctionnalité permettant d’afficher les NFTs comme photo de profil. Meta songerait par ailleurs à permettre aux utilisateurs de créer des NFTs directement au sein de ses applications.
Et pourtant : ces poids lourds du numérique sont encore bien loin des ambitions affichées par toute une nouvelle génération de start-ups à l’image de Primitives, Omni ou encore Showtime. Un de mes chouchous ? Pikomit, une app Web3 qui unit et renforce les communautés tokenisées autour de trois grands concepts : tout d’abord, la mise en avant de son profil Web3 avec la possibilité de personnaliser celui-ci en changeant l’avatar, la bannière et autres éléments graphiques à l’aide de ses actifs NFT ; ensuite, le wallet-to-wallet messaging en permettant d’envoyer un message à tout propriétaire de portefeuille sur la blockchain pour nouer des liens avec celles et ceux qui détiennent les mêmes actifs que vous ; et enfin, des clubs communautaires puisque, grâce à la blockchain, Pikomit détecte les NFTs et les tokens pour permettre de rejoindre automatiquement des espaces dédiés.
Que faut-il en retenir ? Une diversité extrême et un caractère protéiforme inédit auxquels s’ajoutent des considérations éthiques en plein essor. Le réseau social Supernova reverse ainsi 60% de ses revenus publicitaires à des associations caritatives choisies par les utilisateurs tout en fournissant une modération humaine 24h/24 et 7J/7 au nom d’une communauté “plus gentille et plus inclusive”.
Evidemment, tous ces exemples ne sauraient constituer une vision exhaustive mais force est de constater que le renouveau est en marche. Le big bang social n’est décidément pas prêt de s’affaiblir.
MD
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Bravo encore pour cet article remarquable par sa précision et sa simplicité ! Il est grand temps que ce travail soit rémunéré à sa juste valeur : vive le co-ownership !!!