Comment augmenter son espérance de vie ? Voilà une question qui hante l'humanité depuis des siècles. Alors qu’on a longtemps pensé que l'exercice physique et un régime alimentaire sain constituaient les seules solutions à cette problématique, la recherche montre que les “soft drivers” tels que les relations sociales, l’amour, l'empathie ou encore la gentillesse auraient un rôle-clé à jouer dans la longévité. Disposer d’un solide réseau de soutien réduirait ainsi le risque de mortalité de - 45%. Qui l'eût cru ?
Social mais pas social
L’avènement d’internet et des nouvelles technologies était supposé rapprocher les gens. Au final, aurait-il plutôt contribué à leur éloignement ? Une question devenue critique à mesure que les effets inattendus de la révolution technologique imprègnent nos relations interpersonnelles, creusant chaque jour un peu plus la fragmentation sociale. Il suffit d’observer le graphique ci-dessous pour s'apercevoir que depuis 2011 - soit l’année de la démocratisation des smartphones et de l'essor des réseaux sociaux - les problèmes de santé mentale explosent. Un constat qui s’observe un peu partout dans le monde, chez les femmes comme chez les hommes, de même que chez les jeunes, un sujet particulièrement inquiétant que j’avais déjà abordé dans cet article.
Alors que TikTok est actuellement au cœur d'une guerre entre l'Occident et la Chine sur fond d’accusations d'espionnage et de collecte de données à mauvais escient, cet exemple tend à illustrer la perte de confiance graduelle envers des réseaux sociaux déjà pointés du doigt pour leur faculté à se suppléer aux relations en face à face. Le constat est le même pour les applications de messagerie, celles-là même qui nous rendent plus passifs et moins assertifs dans nos échanges avec autrui.
Par ailleurs, l'utilisation de "dark patterns" - que le Comité européen de la protection des données tente d’encadrer - et de fonctionnalités comme la dernière heure de connexion ou l'heure de lecture d’un message ont créé une culture de l’instantanéité. Résultat : attendre la réponse d’un interlocuteur peut s’avérer source d'anxiété ou de frustration. "Qu'est-ce qui est pire selon toi, un message non lu alors que la personne s'est connectée ou un message lu mais sans réponse ?" me demandait récemment un ami, soulignant ce dilemme dans nos modes de communication modernes.
Love, etc.
Côté dating, les anecdotes relatives à Tinder ont donné lieu à une exploitation commerciale sans fin. Documentaires, livres, comptes humoristiques… autant de supports qui mettent en lumière un positionnement presque parodique voire grotesque des applications de dating. Ghosting, breadcrumbing, benching, serendipidating ou encore stashing … voilà de glorieuses attitudes qui ponctuent les récits, révélant une certaine désinvolture toxique dans ces relations commodifiées par la technologie. Avec un effort quasi nul, les applications de dating peuvent ainsi facilement se transformer en machines à dopamine, tournées uniquement vers la validation de soi. Les chiffres parlent d’eux-même alors que 80% des utilisateurs s’estiment insatisfaits par les offres sur le marché.
Et le pire reste sans doute à venir. Si l'explosion de l'IA générative devrait soutenir de nouvelles formes d'expression de l’individu - voir ma définition du Selfpressionnisme -, le phénomène pourrait également avoir des conséquences plus sombres. Lors de la dernière Saint Valentin, nombreux sont celles et ceux qui ont indiqué avoir eu recours à l’intelligence artificielle pour déclarer leur flamme. Sommes-nous en route vers un monde où les connexions émotionnelles seront remplacées par des algorithmes, où nos vrais sentiments seront dilués dans un océan de messages automatisés ? Pour le romantisme on repassera.
Revisiter les paradigmes des apps de rencontres
Toujours est-il que les apps de rencontres vont devoir faire face à un paradoxe : alors que leur valeur principale réside dans les communications asynchrones, l'utilisation croissante de l'intelligence artificielle risque de rendre ces échanges de moins en moins authentiques. Par conséquent, les utilisateurs accorderont de plus en plus de valeur aux formats live qui favorisent une interaction en temps réel, plus authentique.
En Chine, l'application Yidui est un exemple éloquent de cette tendance. Son concept ? Ré-humaniser les rencontres grâce à des entremetteurs professionnels et une fonctionnalité de live video. Ici, les matchmakers agissent comme des intermédiaires pour faciliter la conversation et la construction de relations. Quant à la fonction de vidéo en direct, elle permet aux utilisateurs de rejoindre une salle de discussion en présence d'un matchmaker, réduisant de fait le nombre de faux profils et de bots sur la plateforme.
De quoi inspirer l’Occident ? Annoncée pour mi-2023, l’application MAJ de Tawkify promet elle aussi un service de matchmaking, ici agrémenté d’outils relatifs au bien-être relationnel, de "fonctionnalités multimédias” et de “contenu exclusif et partageable" selon son fondateur Adam Cohen-Aslatei dans un entretien accordé à TechCrunch. Sur le même principe mais avec un twist, la nouvelle app américaine Wingr propose à ses utilisateurs d'agir en tant que marieurs via la création de profils "wingperson" qui leur permet de suggérer des prétendants à leurs amis célibataires inscrits sur l’application. Avec ce concept, les fondateurs espèrent impulser et nourrir des connexions plus significatives, bien au-delà du simple “match” algorithmé.
De leur côté, les applications Choco et Feels mettent aussi l’accent sur le principe de vidéo en direct afin de créer l’expérience de rencontre la plus immersive et authentique possible. Feels va même un cran plus loin avec le lancement d'expériences sous forme de show télévisés où il est possible de se connecter avec les personnes autour de soi. Comme me l’explique son co-fondateur Daniel Cheaib : “Avec la mécanisation et la standardisation des approches dans la rencontre en ligne (une tendance qui va s'accentuer avec le développement d'outils d'IA), les utilisateurs de la génération Z sont à la recherche d'expériences de rencontres plus spontanées, plus instantanées et donc moins propice aux messages automatisés.”
Une autre option est peut-être de revenir aux bases du low-tech, quitte à moderniser le modèle des agences matrimoniales : en France, le nombre d'agences est passé de 1 100 dans les années 1990 à environ 400 en 2015, mais aujourd’hui le secteur connaît un regain d'intérêt. En effet, des start-ups comme Abricot, Les Alchimistes ou encore Bonjour Begin ont ainsi choisi de redynamiser le genre. “Aujourd'hui, les célibataires en ont marre de passer des heures sur les applications à la recherche de conversations plates et similaires, m’expliquait récemment Florent Hernandez, fondateur de Bonjour Begin, une agence matrimoniale nouvelle génération basée à Aix en Provence. Les algorithmes ne sont plus cachés et les utilisateurs en ont conscience. Les célibataires ont besoin d'authenticité, d'écoute et même d'accompagnement. C'est là que Begin intervient. Nos clients sont ravis de parler à de vraies personnes et de rencontrer des prétendants en phase avec leurs attentes, dont le profil a été vérifié par nos soins”.
Si les applications sociales continuent de se développer à un rythme effréné, il est essentiel de se poser une question fondamentale, celle de notre relation… à la technologie. Certes, l'IA peut offrir des solutions inédites de connexion à l’autre, mais à quel prix ? Comment préserver notre humanité dans un monde de plus en plus dominé par l'automatisation et les algorithmes ? Il n’a jamais été aussi nécessaire d’aborder la technologie avec une conscience critique et une vision claire de notre propre humanité. Car aussi pratiques soient les échanges digitaux, les relations demandent de la sincérité, du temps et de la présence - bien réelle - pour s’épanouir.
MD, avec la précieuse contribution de Thomas Owadenko.
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Excellent article sur un sujet peu évoqué et tellement révélateur du mal-être actuel ! Ca me donne plein d'idées. Merci Marie