Un slogan prêt à penser ?
Il y a quelques jours, mon fils de 10 ans est venu me voir. Les élections de délégué approchaient et un de ses amis avait trouvé un slogan grâce à ChatGPT. "Peux-tu m’aider ?" m’a-t-il demandé. Je lui ai alors retourné la question : "Comment voudrais-tu t’y prendre ?"
Sa réponse fut simple : "Je vais demander à ChatGPT de me proposer un slogan, et s’il ne me plaît pas, je lui demanderai d’en trouver d’autres, jusqu’à ce que ça colle." Implacable, pensait-il.
Je lui ai alors proposé une autre approche. Je lui ai suggéré d'écrire ceci à ChatGPT : “Je suis un garçon de 10 ans, je m’appelle Olivier et je souhaite devenir délégué. Quelles questions devrais-je me poser pour trouver le slogan idéal ?”
Voici le retour de ChatGPT :
Cette réponse l’a quelque peu déstabilisé… "Mais elles sont difficiles, ces questions !" s’est-il exclamé. Ce à quoi j’ai répondu : "Être délégué, c’est une vraie responsabilité. Si tu démarres avec des mots creux, tu n’iras pas loin."
L’illusion du savoir
Cette anecdote m’a ramené à l’une de mes plus grandes craintes : un monde où le savoir se vide peu à peu de sa substance, où il résonne de plus en plus creux. L’illusion de savoir n’est pas nouvelle, mais l’IA en devient le miroir parfait, amplifiant cette certitude trompeuse qui offre des réponses sans réflexion, des certitudes sans questionnement.
Ainsi, une nouvelle caste de "sachants" émerge : ceux qui savent, ceux qui ne savent pas, ceux qui savent qu’ils ne savent pas… et désormais, ceux qui, grâce à l’IA, pensent savoir passivement, mais ne savent toujours pas. Car la vraie question est là : comprennent-ils seulement ce qu’ils croient savoir ?
Si je devais schématiser le tout de façon un peu caricaturale, cela donnerait quelque chose comme ceci…
Cette dynamique entre savoir et illusion se retrouve dans une expérience récente du MIT où trois équipes d’étudiants, sans aucune notion d’un vieux langage de programmation, le Fortran, devaient coder. La première équipe, aidée par ChatGPT, a terminé en un temps record. La seconde, utilisant Code Llama de Meta, un LLM profilé pour les développeurs, n’a pas traîné non plus. Quant à la dernière, elle s’est appuyée uniquement sur Google et ses propres ressources, prenant un peu plus de temps.
Mais c’est la suite de l’expérience qui révèle les leçons importantes. Lorsqu’on a demandé aux équipes de reproduire le code de mémoire, l’équipe ChatGPT a échoué, n’ayant rien retenu. La moitié de ceux ayant utilisé Code Llama a réussi, tandis que tous ceux qui avaient travaillé avec Google et leurs propres moyens ont réussi à se souvenir et à recréer leur travail.
Cette expérience met en lumière plusieurs choses. Elle révèle d’abord l’illusion du savoir rapide que l’IA peut offrir : sans effort, l’apprentissage reste en surface. Elle rappelle que seul un travail personnel et réfléchi mène à un savoir profond. Elle montre aussi l’importance de développer des outils d’IA adaptés aux métiers, qui aident vraiment à structurer la pensée, plutôt que de la remplacer. Mais surtout, elle dévoile les limites potentielles de ces outils : ils risquent de devenir des béquilles, affaiblissant l’apprentissage à long terme, s’ils ne nourrissent pas la réflexion.
Quatre époques du savoir
En réalité, cette expérience s’inscrit dans un contexte plus large de transformation de la notion même de savoir.
Avec un peu de recul, on peut observer cette évolution, de manière simplifiée, en quatre grandes étapes. D’abord, l’ère préindustrielle : le savoir était transmis par classe sociale. L’élite bénéficiait d’une instruction privée et de textes sacrés, tandis que les classes populaires accédaient à une tradition orale et à l’apprentissage familial. Puis vint l’industrialisation, qui démocratisa l’éducation et rendit le savoir de base accessible à tous, bien que l’enseignement supérieur reste réservé aux classes aisées.
Plus récemment, l’ère de l’information a radicalement changé la donne. Avec Internet, le savoir est devenu accessible à tous. Mais cette abondance a aussi introduit ses propres défis : surcharge cognitive, fausses informations, et une illusion de savoir souvent superficielle.
Et aujourd'hui, avec l'IA générative, une nouvelle dimension s'ajoute : nous entrons dans une ère de savoir délégué. Le paradoxe est frappant : plus l'accès à l'information devient facile, plus la profondeur de la compréhension semble s'éroder. L’IA accomplit des tâches dont nous ne comprenons pas toujours les rouages, nous donnant des réponses sans nous révéler le chemin qui y mène, court-circuitant ainsi notre propre processus d’apprentissage. Mon fils a vécu une mini version de cette réalité : une facilité apparente qui masquait un véritable défi de réflexion, une profondeur que l’IA, seule, ne peut offrir — sauf si nous faisons preuve d’esprit critique.
De la commodité à l'élévation
Alors, le savoir est-il devenu une simple commodité ? En surface, peut-être. Mais se satisfaire des réponses toutes faites de l’IA, c’est risquer d’éteindre ce feu intérieur, cette force qui nous distingue. On dit partout que l’IA devrait nous "augmenter," mais le mot sonne faux. Ce n’est pas d’augmentation dont nous avons besoin, mais d’élévation. L’IA doit nous guider vers plus de clarté, non en remplissant nos esprits de solutions, mais en affinant notre regard. Car apprendre, ce n’est pas accumuler ; c’est se transformer.
L’IA n’est qu’un tremplin ; le véritable élan vient de nous. Il réside dans notre esprit critique, notre curiosité, cette quête silencieuse qui fait de nous des êtres pensants. La connaissance authentique ne se délègue que lorsqu’elle est véritablement comprise. Elle doit d’abord être recherchée, conquise. Et si l’IA doit nous accompagner avec une véritable intelligence, qu’elle le fasse non pour fournir des réponses, mais pour éveiller en nous de plus grandes questions.
MD
Merci, très intéressant. C’est primordial et tellement nécessaire de parler et partager les pours et les contres d’IA.
Je vous dit bravo.
Merci Marie de nous alerter sur le savoir passif, brillant. Je pense de plus en plus qu'il n'y a de savoir qu'actif, pratique et incarné.