Linkedin : du Capitole à la Roche Tarpéienne ?

La loi du marché est sans pitié, notamment dans les sphères sociales. Des sommets de la gloire et du hype, on a vite fait d’être déclassé au stade du has-been. Un risque encouru par Linkedin ? La plateforme de Microsoft est-elle en train de glisser du Capitole à la Roche Tarpéienne ? Décryptage.
Réseau multi-facettes et signes de ras-le-bol
700 Millions + d’utilisateurs dont plus de 260 millions d’actifs. Vertigineux. En 2019, LinkedIn a engrangé environ 6,7 milliards de dollars, soit presque trois fois plus qu'en 2017 (à titre de comparaison, Twitter a gagné 3,46 milliards de dollars la même année). Et cela s’explique : contrairement à la plupart de ses concurrents, la société de Microsoft ne mise pas que sur la publicité qui constitue environ 50% de ses revenus. Le reste de son chiffre d’affaires vient des solutions marketing proposées aux entreprises, RH … et des abonnements premium: 39% des utilisateurs ont souscrit à une offre pro. Petit atout supplémentaire : 41% des millionnaires utiliseraient la plateforme. Impressionnant, non?
Rien d’étonnant à cela : Linkedin, c’est un réseau professionnel multi-facettes, “Network - Sales - Marketing - Hire and Learn” comme l’indique le site. Bref, si on se cantonne aux chiffres, les voyants sont aux verts. Et pourtant ... Je vous expliquais dans mon article consacré à la détection de tendances qu’il faut toujours repérer les signaux faibles ; en l’état, certains “patterns” émergent en mode “avis de tempête” pour le leader des réseaux pro.
Comme le souligne la VC américaine Brianne Kimmel dans un excellent article, LinkedIn traverse sa 17e année d'existence, il a donc été conçu en un temps où les compétences professionnelles se limitaient à un curriculum vitae, où les recruteurs servaient de relais entre les professionnels et les responsables de l'embauche : forums de l'emploi, événements de réseautage, organisations professionnelles … tout cela est en train de muter. Or côté Linkedin, peu d’évolutions drastiques. Un journaliste de Techrunch enfonce d’ailleurs le clou en soulignant que “LinkedIn a été remarquablement peu ambitieux depuis longtemps.” Un avis que je partage et que je détaillerai un peu plus loin.
Notons par ailleurs une forme de ras-le-bol ; les contenus pseudo-inspirationnels bullshit ont envahi nos feeds linkedin à tel point que se multiplient les groupes parodiques, visant à dénoncer ces pratiques : Neurchi de Linkedin sur Facebook (+ 10 000 abonnés), Disruptive Humans of Linkedin sur Twitter ou encore le profil de Walter Laouadi - conférencier, dream maker et ultimate passionnate ultranate (oui, tout est parodie) qui fait rire les foules avec ses posts et ses commentaires très caustiques. Techtrash ponctue bien souvent ses délicieuses newsletters de quelques éclairs Linkediens. Enfin, si vous voulez concilier humour et pratique de l’anglais, le subreddit r/linkedinlunatics ou le compte Twitter @CrapOnLinkedin valent le détour.
Concurrences à la verticale
L’histoire se répète : à la façon d’Amazon, Craiglist, Ebay ou en ce moment même Reddit - je vous en ai du reste déjà parlé ici. Linkedin partage les splendeurs et misères de tous ces géants de la tech ; sa plateforme numérique a atteint un point culminant, stimule et entraîne pléthore de nouveaux concurrents. Une concurrence qui compte bien dévorer des morceaux de la plateforme existante en se positionnant dans des verticales spécifiques, en créant une expérience utilisateur ou un modèle commercial beaucoup plus adapté aux attributs uniques de la dite verticale. C’est très précisément ce qui menace Linkedin. Pour preuve, voici quelques nouveaux acteurs qui challengent chaque grande expertise de la firme.
Sur la partie “Network” tout d’abord. Alors que Linkedin se positionne en généraliste, d’autres se créent dans des niches et des verticales.
Heyneighbours, en cours de construction, se positionne comme un réseau professionnel pour les entrepreneurs à distance.
The-dots se présente comme le “réseau professionnel pour les personnes qui n'ont pas à porter un costume pour travailler” - autrement dit les créatifs. Une plateforme française existe également sur le même créneau : Myprofileart.
Research Gate se spécialise dans les communautés scientifiques.
Radius cible quant à lui les agents immobiliers.
Stagetime, en cours de lancement vise les artistes.
LeafWire, dans l'industrie du cannabis. D'après leur site web : "Leafwire existe pour aider à lancer la nouvelle économie du cannabis en éduquant et en mettant en relation les entrepreneurs et les investisseurs qui vont construire cette industrie."
Citons également 50intech qui trace une nouvelle voie dans l'écosystème technologique en se définissant comme un accélérateur d’affaires et de talent et qui encourage l'innovation féminine dans les technologies. Objectif ? Une représentation de 50% des femmes dans la tech d’ici 2050. Une démarche similaire à celle de la communauté Girlboss.
Pour la partie “Hire”, le recrutement, là aussi la concurrence se bouscule. Il y avait déjà les portails classiques tels que Cadremploi, Indeed, Monster et consort ; d’autres, innovants, se sont ensuite imposés, comme Welcome to the Jungle, la plateforme qui entend réconcilier candidats et recruteurs en “donnant corps et sens à la vie professionnelle”. Dans ce segment, on assiste également à une verticalisation et de nouveaux usages.
Honeypot est la plateforme européenne de l'emploi axée sur les développeurs ; mais, changement de paradigme oblige, ce sont les entreprises qui postulent pour recruter un profil dont les compétences auront au préalable été validées par un talent success manager.
Un peu semblable à Honeypot mais spécialisé sur les freelancers, Thirsty Sprout screene et interviewe chaque développeur qui rejoint la plateforme ; il s’agit de se positionner de façon plus qualitative que des services comme Fiverr ou Upwork.
Un dernier pour la route ? Un ovni : Heroes Jobs. La seule application mobile qui relie les entreprises du secteur de l'alimentation et de la distribution à des candidats motivés en quelques secondes par vidéo. Pas de CV mais un clip bien senti façon Snapchat … et, selon les dires du site, 8 heures économisées par recrutement, soit une diminution de 36% du taux de non-présentation. Une aubaine dans un secteur où il faut recruter en toute agilité.
Et ce n’est que le début…


On passe à la partie Learning ? En 2015, Linkedin achète la société de learning Lynda.com pour la coquette somme de 1,5 milliards de dollars. Il s’agit de rivaliser avec des concurrents potentiels comme Udemy, Coursera. La relève ? Vous la connaissez, je vous en ai déjà parlé : les acteurs de la passion economy qui font levier sur des services comme Podia ou Teachable. Le modèle évolue pour être plus concret, pragmatique et s’adapter aux outils du quotidien.
Nouveaux concepts structurants
Au-delà de cette verticalisation, on assiste à l’émergence d’outsiders s’appuyant sur des concepts structurants qui pourraient considérablement modifier le panorama.
Apprendre à apprendre… mais surtout apprendre en continu et différemment ! Selon une statistique effarante, le taux de complétion d’un MOOC (cours en ligne) est d’environ 10%. Autant dire que le modèle sur lequel Linkedin et les autres acteurs traditionnels sont positionnés semble compromis sur le long terme. La nouvelle génération d’outils va faire levier sur des tactiques revisitées : il faudra sonder la motivation d’un candidat en lui demandant de remplir un questionnaire préalable, au lieu du “on-demand” learning, cf: quand on le souhaite. Il s’agira d’imposer des deadlines, tout en faisant du synchrone ET de l’asynchrone. Il conviendra de bâtir des communautés afin d’utiliser la pression des pairs pour passer d’un apprentissage passif à un apprentissage actif. Un exemple ? LaunchMBA est une communauté sur invitation où l’on apprend à créer des business profitables en s’appuyant sur une audience de “doers”: chaque utilisateur doit lancer 12 produits en 12 mois en utilisant des plateformes no code sur le marché.
L'anonymat pour des multiples facettes pro ? Jetez un œil sur le subreddit r/linkedin ; vous constaterez que quasiment un post sur deux concerne les questions de privacy. Des sociétés voient déjà le jour dans ce créneau : sur Personalli, on peut créer des profils différents pour des personnes différentes. Le but est de protéger sa vie privée et de se connecter personnellement. J’ai pu discuter avec Kejal Shah, fondateur de Personnalli, qui m’a expliqué comment on en est arrivé à tout dire de soi, les pages statiques, puis les pages dynamiques, puis l'UGC : c'est ainsi que sont nés Facebook, LinkedIn et les autres réseaux sociaux. La prochaine phase d’après lui sera celle de la protection de la vie privée et de la pertinence des informations : les usagers se concentreront sur le partage sélectif. Et valoriseront des carrières professionnelles protéiformes ?
Ce n’est pas le seul sur le créneau à encourager cette approche. Fishbowl, un autre réseau professionnel en vogue, a bouclé une levée de fonds en série A de 5,3 millions de dollars en début d’année ; il a tout misé sur la démarche communautaire, les discussions honnêtes et sans filtre entre membres. Lorsqu’on participe à une discussion, on peut choisir 3 niveaux : avec son nom, sa société ou son poste.
La valorisation des “visible achievements” : on le sait, les diplômes ne suffisent plus nécessairement à obtenir un job ni à garantir son employabilité tout au long de sa carrière. Aujourd’hui, on valorise tout side project, toute initiative en ligne qui en vaut la peine. Sur LinkedIn, les possibilités en la matière sont limitées, se cantonnent à des liens embedés … alors que d’autres services s’avèrent plus créatifs. Citons Heypster ou encore Goodwall, dédié aux étudiants qui démarrent leur vie pro et veulent bâtir des réseaux solides. La baseline du service en dit long sur des ambitions nettement à contre- courant de ce qu’on a pu nous asséner depuis des années : “Votre but ultime ne doit pas être un diplôme ou un emploi : il devrait être de vous améliorer.” Pour ce faire, la plateforme permet de construire votre profil comme un site web personnel présentant aux universités et aux employeurs vos réalisations, vos compétences et vos idées “au-delà de vos notes et de votre expérience professionnelle.” On observe la même démarche avec la start-up Epilogue, “le réseau professionnel où vos papiers, articles et projets comptent.”
Un marché des offres d’emploi à distance. Alors que le télétravail s’ancre dans nos usages, les employeurs s’intéresseront davantage aux fuseaux horaires pour recruter ou faire appel a des freelance. Ici aussi de nombreux services emergent. Un exemple? Noicejobs.
Qu’on le veuille ou non, la nouvelle génération de réseaux professionnels est en train de s’affirmer, plus spécialisée, plus verticalisée et plus personnelle même si certains, à l’image de Webtalk (allez regarder, ça vaut le détour) entendent créer la plateforme pro + perso nouvelle génération. Cela signe-t-il la fin pour Linkedin ? Probablement pas, pas tout de suite en tout cas. Mais cette concurrence devrait clairement sortir la firme de Microsoft de sa léthargie .. et l’amener à faire le ménage parmi les nombreux marchands de sable, diseurs de bonne aventure et autres coachs en hapiness therapy qui ont pris leurs quartiers sur la plateforme. Un réveil salvateur !
MD
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