Le 21ème siècle s'achemine vers une ère d'“AI-lisation”, ou devrais-je dire, d'"A(nnih)I-lation " ? Un jeu de mots qui reflète une des grandes inquiétudes de notre psyché collective : l'idée que, à terme, les super-intelligences pourraient voler nos emplois et nous rendre obsolètes.
Mais en réalité, cette peur masque une opportunité peut-être plus profonde : celle de redéfinir notre rapport au travail, à la créativité, et à la vie elle-même. « Parfois, la vie nous empêche de vraiment vivre. » Cette phrase vous parle-t-elle ? Vous êtes-vous déjà senti captif de votre propre existence, écrasé par le quotidien ? Aurélien Barraud, astrophysicien et philosophe français, pousse cette réflexion encore plus loin, affirmant que nous sommes devenus « des vivants qui n’aimons plus la vie ».
Dans un monde ébranlé par la permacrise, un élan de renouveau émerge. Prenez Patagonia : en 2022, son fondateur a décidé de léguer son entreprise, évaluée à 3 milliards de dollars, à la cause environnementale. À l'époque, ce geste semblait presque surréaliste, mais il trouve aujourd'hui son écho : sur TikTok, le mouvement #degrowth attire des millions de vues. Cette tendance se confirme également dans des initiatives institutionnelles, comme la campagne "les dévendeurs" de l'ADEME, qui a provoqué un débat animé sur la nécessité de réduire et de repenser notre consommation.
La prise de conscience individuelle se traduit dans les comportements des consommateurs, qui s'orientent vers des pratiques comme la méditation et ses corollaires pour se reconnecter avec eux-mêmes. Ainsi, les recherches Google pour le "breathwork" ont triplé, atteignant 60 000 en novembre 2023. La "tapping therapy" a vu ses requêtes grimper à 135 000, marquant une hausse de 40% sur deux ans. Quant au "somatic workout", qui privilégie des mouvements lents et conscients pour approfondir la connexion corps-esprit, il a enregistré 246 000 requêtes le mois dernier.
La sologamie, qui consiste à se marier à soi-même, connaît également une montée en popularité, comme en témoignent ses 1,3 millions de vues sur TikTok. Cette pratique, célébrant l'indépendance personnelle et l'engagement envers soi, met en exergue, de manière contemporaine, l'importance de l'individu en tant qu'artisan de sa propre existence, reflétant ainsi une version moderne de l'existentialisme sartrien.
Tous ces exemples incarnent l’esprit d’une génération en quête de régénération, s'alignant sur la théorie de la "résonance" du sociologue allemand Hartmut Rosa. Ils illustrent un désir de renouer avec des interactions positives et significatives, tant avec notre environnement qu'avec nous-mêmes.
Faut dire que l’accélération technologique, amorcée avec la révolution industrielle il y a deux siècles, a indéniablement joué un rôle clé dans notre sentiment croissant de déconnexion. Malgré le loisir qu'elle a apporté, elle a souvent conduit à un sentiment de vide et de désœuvrement. Au lieu de nous engager dans un processus d'auto-connaissance, nous nous sommes retrouvés absorbés par des divertissements superficiels, perdant ainsi le contact avec l'essence de notre être.
Par la suite, le développement de l'informatique et de l'IA s'est concentré sur le traitement de données structurées, comme les chiffres et les tableaux, qui étaient facilement gérables par les systèmes informatiques traditionnels. En revanche, les données non structurées (textes libres, images, vidéos, enregistrements audio), plus diverses et moins organisées, posaient un défi majeur pour le traitement par les ordinateurs classiques. Ces types de données représentent cependant la richesse et toute la complexité de l'essence humaine.
C'est ici que l'avènement de l'IA générative marque une véritable révolution. En dévoilant les profondeurs cachées dans ces vastes ensembles de données intrinsèquement humaines, elle devient un puissant instrument de découverte, nous ouvrant les portes d'une compréhension de l'humanité à une échelle jamais atteinte auparavant. Capable d'analyser et d'interpréter les réseaux complexes de données humaines, elle offre des perspectives nouvelles sur nos comportements, nos cultures et nos interactions sociales à travers le monde, tout en offrant des outils pour une meilleure expression de ces connaissances. L’ère du selfpressionnisme, dont je vous ai déjà parlé.
Pascal évoquait notre malheur comme découlant de l'incapacité à être en paix avec soi-même. Aujourd'hui, l'IA générative, en explorant les profondeurs méconnues de notre psyché, pourrait nous aider à relever ce défi séculaire. Elle nous enseigne à poser les bonnes questions, car savoir prompter une IA, c'est savoir questionner ; savoir questionner, c'est défier l'évidence, et non la posséder. Ainsi, dans cette ère nouvelle, nous sommes invités non seulement à découvrir, mais aussi à redéfinir notre compréhension de nous-mêmes et du monde qui nous entoure. Car, de manière assez ironique, c'est peut-être à travers ce miroir technologique que nous apprendrons à embrasser pleinement notre humanité, trouvant un équilibre inattendu entre notre âme et l'AI-ntelligence de notre temps.
MD
PS - J'ai eu le plaisir de collaborer avec Noémie Aubron pour sa dernière édition de 'Futurs'. A lire ici.