
Alors, que vaut-il mieux ? Osciller dans un déséquilibre stable ou s’agripper à un équilibre instable ? Les esprits pressés hausseront les épaules : question tordue. Les autres s’attarderont sur les définitions. Équilibre. Stabilité. Puis viendra la réponse raisonnable : le déséquilibre stable, évidemment. Après tout, marcher, n’est-ce pas cela ? Un déséquilibre rattrapé à chaque pas ?
Mais à bien y penser, peu importe. Dans les deux cas, il y a tension. Et c’est peut-être ça, au fond, la seule vraie question : peut-on vivre sans tension ?
Non seulement on ne le peut pas, mais on ne le devrait pas. Car c’est la tension qui oblige à bouger, à s’ajuster, à s’adapter. Un funambule, ce n’est pas l’équilibre qui le sauve, c’est le déséquilibre qu’il accepte.
Peut-être faut-il regarder ailleurs pour mieux comprendre cette tension. Quitter un instant les funambules et lever les yeux vers un autre équilibre, plus ancien, plus fondamental. Celui de la nature elle-même.
Observez les arbres. S’ils sont trop rigides, ils se déracinent à la première tempête. S’ils sont trop mous, ils se couchent sous leur propre poids. Ceux qui survivent ne sont ni les plus durs, ni les plus dociles, mais ceux qui savent plier sans rompre. La vraie force n’est pas dans la résistance, mais dans la capacité à osciller et à retrouver sa forme.
Pourtant, on parle peu de souplesse. À la place, on nous martèle toujours le même refrain : "Dans un monde Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu (VUCA), les entreprises doivent apprendre à s’adapter." Blablabla.
Mais est-ce seulement l’adaptabilité qui est en jeu ? Ce terme doit-il être BANI pour coller à la réalité de notre monde, Brutal, Anxiogène, Non linéaire, Incompréhensible ? Il semblerait en effet que l’adaptabilité ne suffise plus. Elle permet de réagir, certes. Mais parfois, il ne s’agit pas de réagir.
Regardez l’immobilisme.
En cas de chute dans une eau glacée, il est souvent conseillé de rester immobile pour limiter la perte de chaleur corporelle. Nager vigoureusement accélère le refroidissement du corps et augmente le risque d’hypothermie, sauf si la rive est très proche et accessible.
Face à un prédateur, ne pas bouger sauve.
Dans une crise, réagir trop vite peut aggraver la situation.
Nous vivons dans un monde où le mouvement est glorifié. Mais s’arrêter est parfois la seule manière de voir clair.
Alors, faut-il bouger ou rester immobile ? La question est mal posée.
Le funambule avance parce qu’il oscille, mais il sait aussi marquer un temps d’arrêt pour retrouver son équilibre. L’arbre plie sous la tempête, mais sait aussi rester ancré lorsque le vent s’apaise. Le problème n’est pas le mouvement ou l’arrêt, c’est la rigidité.
En psychologie, on parle de "flexibilité cognitive", cette capacité à remodeler notre compréhension du monde sans nous effondrer à chaque imprévu. Or, "flexible", en anglais, c’est la souplesse.
La tension est nécessaire, mais seule, elle épuise. La tension nous met en mouvement, mais c’est la souplesse qui nous permet de durer. Elle est la mémoire du vivant.
Parce qu’être souple, ce n’est pas céder, c’est absorber. Ce n’est pas subir, c’est intégrer. Ceux qui résistent finissent par casser. Ceux qui plient trouvent toujours une nouvelle forme.
S’adapter, c’est faire avec le changement. Être souple, c’est exister en lui.
Alors, déséquilibre stable ou équilibre instable ? Ce n’était peut-être pas la vraie question, après tout. Peu importe le terrain, tant qu’on a la souplesse d’y trouver sa place.
Car l’équilibre parfait n’existe pas. Seuls les morts sont stables.
MD & DD
Dorianne Denne, fondatrice de Caredea, accompagne entreprises et managers dans les transformations numériques et managériales. Elle veille à garantir l’adoption des changements, maximiser leur impact et assurer leur pérennité.
Vous touchez à un concept que j'adore. Le concept Stoïcien, Nietzschéen et rescuscité par la Jungienne Marie-Louise Von Franz du Tonos. La juste tension. Comme la juste tension de la corde de l'arc. Un art délicat.🏹.
Merci pour cette belle question !